Marquises 1/4 : Fatu Hiva

Classé dans : Pacifique, Polynésie | 4

On ne peut pas arriver aux Marquises sans penser à tous les illustres navigateurs qui nous ont précédé, Slocum, Le Toumelin, Gerbault, Moitessier, … Nous avions eu a chance de croiser ce dernier (désolé Nico, tu n’étais pas encore né).

Le 22 juin 1965, se préparant à relier Moorea à Alicante sans escale (14 000 milles en 126 jours par le Cap Horn!), après une traversée remarquable de 20 jours depuis les Galápagos, il écrivait:

On dirait que des montagnes entières se sont précipitées dans la mer comme de gigantesques cataractes de pierre. (…) Une description fidèle, même une photographie, ne saurait expliquer ce que nous contemplons. Il y manquait l’essentiel, une sorte d’émanation magnétique dégagée en bouffées de cette masse un peu effrayante par sa puissance d’envoûtement. (…) Les mots et les images ne peuvent pas rendre ce formidable silence vert de la végétation, blanc et gris de la pierre aux Marquises”.

Fatu Hiva

Joshua quitte Taa Hu Ku le 10 juillet sous un beau clair de lune pour se rendre à Fatu Hiva (45 milles), où nous mouillons deux heures avant le coucher de soleil dans le décor inouï d’Hanavave (Baies des Vierges).

C’est une petite enclave aussi plate que la main, ouverte seulement à l’ouest, dominée par des falaises rouges atteignant 200 mètres de haut avec des surplombs impressionnants piqués d’énormes rochers noirs collés à la muraille. Au fond, une vallée étroite, presque un ravin, sa plage de galets, ses cocotiers, sa végétation tropicale et bien sûr sa rivière. (…) J’ai vu des tas de jolis coins dans mon existence de romano. Comme celui-ci, jamais!, (…) Hanavave est irradiante de beauté. Rien à voir avec la majesté sévère et colossale des côtes de Hiva Oa. Hanavave est un pur chef d’œuvre. La plus belle merveille que nous ayons jamais contemplée.”

Bernard Moitessier, dans “Cap Horn à la voile” (Arthaud)

Après 17 jours de mer, à notre tour de voir le relief volcanique de Fatu Hiva se découper sur l’horizon au coucher du soleil.

La nuit nous rattrape et on fait des ronds dans l’eau jusqu’au matin car il n’est pas raisonnable de mouiller de nuit dans la baie. A mesure que le jour se lève, le panorama grandiose de la baie des Vierges se rapproche.

Des falaises abruptes hérissées de pics enserrent le village d’Hanavave, d’où émergent quelques toits. Plus en retrait on aperçoit la végétation luxuriante de la vallée plantée de cocotiers. Les pics ont donné le nom initial de baie des Verges, rebaptisée baie des Vierges par les missionnaires!

Le mouillage est assez exigu et balayé par des rafales de vent canalisées par les vallées. Il n’est pas facile de trouver l’évitage entre les 6 bateaux déjà au mouillage. Il faut mouiller dans une bande de vase étroite séparant le fond de la baie occupé par des galets sans tenue pour l’ancre, et les fonds qui descendent vite à plus de 20 mètres. Conseillés par Lionel sur son monocoque en alu, le premier coup de pioche est le bon, par 11 mètres de fond. Spica s’immobilise au bout de ces 17 jours de traversée.

C’est à Spikette, notre annexe, de prendre le relai pour nous déposer dans le petit port aménagé pour les annexes et les barges de débarquement des bateaux ravitailleurs.

Un petit tiki moderne nous souhaite la bienvenue.

Ça tangue un peu sur le quai après tous ces jours en mer. Le village s’étire le long de la route avec des maisons en dur bien tenues au milieu d’une végétation luxuriante.

La mairie figure en bonne place, rappelant aux étourdis que nous sommes à nouveau en France! 

Des manguiers croulent sous des tonnes de fruits qui roulent sur la route, des pamplemoussiers, des arbres à pain, des noni et des arbustes en fleurs : bougainvilliers de toutes les couleurs, lauriers roses…la nature est vraiment exubérante.

Les senteurs qui s’en dégagent chatouillent nos sens privés des odeurs de la terre depuis longtemps. Les habitants sont incroyablement accueillants et, très vite, on fait la connaissance de Témo, sculpteur de talent et multi cartes, son voisin Christian, également sculpteur et cuisinier. Ici on prend son temps : on discute avec les équipages des bateaux, les rares touristes en carafe entre deux bateaux-stops et les gens du village. Ils ont un bon niveau de vie, des 4X4 rutilants mais vivent avec peu de choses.

Balade à la cascade au fond de la vallée, au bout d’un chemin détrempé par les pluies, dans une belle forêt tropicale de plus en plus dense.

On peut se baigner dans une vasque d’eau glacée, juste sous la cascade.

Grande balade sur la route qui mène au village principal d’Omoa, jusqu’à un point de vue qui surplombe la cote, avec des à-pics impressionnants. Mais nous ne ferons pas les 8 heures de marche aller-retour par manque de temps.

On y trouve des plantes assez bizarres:

Au fil de la montée, Hanavave et le mouillage apparaissent.

Tout petits en bas, Spica et ses voisins tournent sur leur ancre, au gré des rafales descendant de la montagne, qui peuvent atteindre 25 – 30 nds.

Arrivés au premier col, on a une vue dégagée sur la chaine de montagne inaccessible qui traverse Fatu Hiva du nord au sud.

Ce sont les vacances scolaires et la période du Heiva, les fêtes de juillet, qui célèbrent la culture polynésienne. Ici, aux Marquises, cette culture est très vivante et nous assistons à la répétition d’une troupe amateur qui doit se mesurer à celle du village d’Omoa pour représenter l’île au festival des arts des îles Marquises en décembre. Sous la direction du chorégraphe, une cinquantaine de danseurs amateurs se produisent, dansent et chantent : les hommes le Haka Pua (danse du cochon) et les femmes des danses plus lascives (danse de l’oiseau). Nous sommes surpris par les chants qui semblent utiliser une gamme presque atonale.

La culture marquisienne est très forte et chaque île a ses particularités : à Fatu Hiva, la sculpture se fait à partir d’essences de bois dur, ramassées sur l’île : il faut partir en bateau sur la côte au vent, inaccessible par voie de terre, couper les arbres, laisser sécher le bois, revenir le chercher et le porter sur le dos. Témo nous fait visiter son atelier, sous un auvent en tôle ; il est bien équipé avec des gouges électriques et différents outils qu’il a fabriqués lui-même. Il dessine quelques repères au crayon et sculpte avec une sureté de geste incroyable.

Il sculpte beaucoup de tikis, soit en statuettes, soit en masque. Les tikis sont les représentations du dieu ou d’un ancêtre divinisé. Témo nous montre un matin une ébauche de masque de tiki. Quand on revient le soir, il est en train de finir de le sculpter, de le lustrer. Le résultat est tellement réussi que l’on craque.

Fatu Hiva est encore une île où la nature est généreuse et la cueillette n’a pas encore fait place à la culture. Et le troc remplace l’argent : contre des sacs entiers de pamplemousses délicieux, de mangues, de bananes et de citrons verts, on donne ce qu’on a : des lunettes pour voir de près, des hameçons et du matériel de pêche, des vêtements… Mais il ne faut pas espérer acheter autre chose pour remplir la cambuse vide : pas de viande ni de poisson, tout est surgelé, arrivant par le bateau ravitailleur toutes les 3 semaines. Car Fatu Hiva n’a pas d’aéroport. Pas non plus d’internet, sauf chez quelques habitants. Mais quel accueil, et quelle générosité des Marquisiens!

Le soir, le mouillage prend des couleurs extraordinaires, tout devient doré.

Au mouillage c’est aussi la fête : on retrouve les équipages amis des Galapagos. Sur Impulso le Lagoon 39 skippé par Enrique (voir article sur la transpac), Marcella (par ailleurs cuisinière colombienne) nous cuisine le meilleur pulpo a la gallega et arroz con leche qu’on ait jamais dégustés!

Zounos skippé par Clémentine a traversé sans problème mais leur poule Zézette n’a pas tenu ses promesses et n’a pas pondu un seul œuf. Apéro grandiose sur Spica auquel s’est joint Romain qui a rallié les Marquises directement depuis Panama en solitaire : bravo.

Le temps passe trop vite pour tout voir. Séance pêche au fusil pour Claire et Cécile qui nous ont rejoints pour 15 jours : grâce à la poubelle flottante prêtée par Témo pour stocker le poisson sans attirer les requins, elles ramènent un perroquet et une carangue.

Pendant ce temps on frotte la coque de Spica qui est recouverte d’algues jusqu’à 50 centimètres au dessus de la flottaison, comme tous les autres bateaux qui ont traversé.

On repart d’Hanavave avec plusieurs sculptures de Témo et Christian, et un tapa fabriqué par la femme de Christian : c’est un dessin à l’encre sur des écorces de bois, tapées pour les amincir et les assouplir, puis séchées.

Mais il existe un secret de fabrication que seuls les artistes de Fatu Hiva possèdent aux Marquises.

Avant de quitter Fatu Hiva, nous voulons essayer de mouiller quelques heures devant Omoa. La route longe les paysages somptueux de l’ouest de l’ile.

Malheureusement, la forte houle fait le tour du sud de Fatu Hiva, et rend le mouillage intenable. Quant au quai de débarquement…:

Comme souvent aux Marquises, il faut profiter de ce qui est possible et savoir renoncer à ce qui est trop risqué. Cap sur Tahuata et Hiva Oa!

4 Responses

  1. Bodinier Daniel et Marie France

    Grandiose ces photos,quelle lumière !!! C’est magnifique.Merci de nous faire partager vos coups de cœur.Bises à vous deux.Daniel et Marie France

  2. Jean Pierre & Liliane

    Une île comme avant le temps du béton. Harmonie et lenteur. Merci de nous faire partager ces beaux moments.
    JP &L

  3. Bassuel

    Bonjour
    J’ai lu avec attention votre virée et comme je suis passionnée d’art marquisien je me demandais où je pouvais trouver le sculpteur sur bois Temo à Fatu hiva ou je me rends cet été ?
    Merci pour votre réponse !
    Virginie

    • Spica

      Bonjour,
      merci pour votre message, et surtout désolé pour le retard! Nous comprenons votre passion pour l’art marquisien, qui le mérite amplement. Pour trouver Temo : à Hanavave, on prend la route principale depuis le port. Laissez l’école sur la droite, passez le petit pont et tournez tout de suite à droite, Temo et Karine habitent la dernière maison, au bout du sentier un peu sur la gauche, son atelier est au bout du terrain. Tout le monde les connait.
      Attention, en juillet, ils sont parfois absents.
      Cordialement.

Répondre à Spica Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *