Mallorca est la seule des Baléares que nous connaissions déjà. Un court séjour de 4 jours, improvisé en janvier 2014 nous avait essentiellement permis de visiter Palma et de faire de la rando dans la sierra Tramuntana. Nous avions eu le coup de foudre pour cette partie sauvage, avec de très beaux villages isolés, des picos à escalader, la chartreuse de Valdemossa, le village de Soller sur la côte ouest, au milieu des montagnes et le cap de Formentor. Nous aurons la confirmation que plusieurs Mallorca bien différentes cohabitent : celle des villages du centre restée très traditionnelle ; des zones résidentielles de grand luxe, colonisées désormais par de riches propriétaires d’Europe du Nord, avec des maisons somptueuses accrochées aux falaises, souvent de très bon goût mais parfois bien bling-bling, et où on semble vivre entre soi en autarcie ; les fameuses “urbanisacion” qui ont favorisé le développement d’une architecture souvent médiocre de complexes touristiques modèle canarien ; et désormais quelques zones protégées (il était temps), dont le prototype est Cabrera.
Historiquement, comme ses voisines, l’île connut la prospérité durant deux périodes-clés : de 900 à 1200 durant sa période maure (rattachement au Califat de Cordoue, puis plus tard à la dynastie des Almoravides) avec un apport décisif, pendant 3 siècles, sur la modernisation de l’agriculture ; au début du 12 ième siècle durant la courte période de rattachement à la Catalogne. Entre temps, ce ne furent que conflits, massacres et pillages, avant qu’anglais et français ne s’en mêlent (y compris en troquant l’île contre Cuba et les Philippines!). Tout ça laissa l’île exsangue au 19ième siècle, avec famines et épidémies, abandonnée à l’écart des lieux de décision. Il fallut attendre la mort de Franco en 1950 pour que les choses se normalisent, avec une administration décentralisée et l’afflux d’investissements et de touristes, pour le meilleur et pour le pire.
Mais revenons à nos pérégrinations. Venant du nord, un choix se présente : dans quel sens tourner autour de Mallorca. Compte tenu du temps disponible et de notre connaissance de la côte ouest, nous choisissons de laisser tomber l’ouest, ainsi que Palma.
Formentor
Venant de Menorca, on voit vite qu’on change d’échelle, par la taille de l’île et la hauteur du relief. Dès le départ de Ciutadela, les picos se détachent de la brume avec un aspect presque menaçant du Cap Formentor, falaise blanche de 200 mètres de hauteur, à pic, surmonté d’un phare blanc.
Les criques environnantes sont trop exposées, et nous mouillons dans la magnifique cala Formentor, vaste anse bordée de collines boisées, juste à côté de l’île du même nom qui nous protège des vents du large. Le mouillage y est théoriquement interdit (tout le rivage est la propriété d’un hôtel de luxe), mais nous sommes encore hors saison, et la présence d’un petit yacht privé de 72 mètres et de 3 ou 4 autres bateaux au mouillage nous décide à braver l’interdit.
Le lendemain matin, le temps est bouché et le paysage ressemble plus à un lac suisse qu’à une cala mallorquine.
Calas de la côte sud-est
Les deux jours suivants la découverte des calas de la côte sud-est va être perturbée par une houle inhabituelle de secteur est.
Puerto Cristo se présente comme une étroite cala avec, un coude à l’entrée bordé d’une belle plage. Pas de mouillage possible en raison de la houle et du manque de place dans l’entrée, et nous sommes trop gros pour la petite marina installée au fond de la cala. Nous acceptons donc la proposition du marinero de nous amarrer (très long…) derrière le môle d’entrée du port que la houle contourne largement, garantie de débarquement scabreux et de nuit moyenne.
Le lendemain matin la houle s’est amplifiée, départ sans demander notre reste. Ceci dit l’endroit est charmant, assez touristique.
Puerto Colom
Puerto Colom est une vaste baie bordée de plages avec une petite station balnéaire charmante au fond, un petit port et un village historique, construit autour d’une belle place centrale.
Le passé maritime sans doute riche de Puerto Colom se manifeste par une belle collection de pointus, amarrés devant un quai bordé de garages à bateaux, qui donne à la ville un petit air italien.
Des bouées ont été installées dans tout le port, et nous passons là 2 jours délicieux au mouillage. Cette baie incite au farniente et aux rencontres. Elle nous fait penser à Marigot baie à Saint Martin aux Antilles. C’est le bon moment pour essayer le kayak gonflable et de se baigner, dans un environnement de très beaux bateaux, dont le magnifique Swan de quelques 100 pieds qui vient mouiller derrière nous.
Moyennant un retour le surlendemain, nous organisons un rendez-vous avec Akaroa II, Outremer 51 australien de James et Tracey, avec qui Christine avait bien sympathisé pendant le stage Women’s only. Agréable soirée avec eux pour partager nos histoires de bateaux et nos projets. Akaroa est la région d’origine de James, en Nouvelle-Zélande. James continue à gérer à distance son entreprise d’une trentaine de personnes, à Sydney. Comme beaucoup de propriétaires de l’hémisphère sud, leurs premières années à bord sont consacrées à la méditerranée, et ils mettent le cap sur Rome via la Sardaigne le lendemain.
Puerto Petro
De Puerto Colom à Puerto Petro, les calas se succèdent tous les miles avec tous les modèles : Marsal petite ; Arsenau privée ; Mitjana sublime ; Serena, Ferrera et Esmeralda, triple cala très touristique ; Llonga également triple avec une marina ; Egos et Llamp.
Malheureusement, le vent de sud-est frais annoncé nous interdit de rester au mouillage pour la nuit dans l’une d’entre elles.
Enfin la cala de Porto Petro, repérée par une tour médiévale, est une vaste cala restée assez peu urbanisée. Sa branche sud pénètre assez profondément dans les terres, constituant ainsi un bon abri de la houle et du vent par ce régime de suet. Par contre, impossible de mouiller, les bouées ont pris le pouvoir. On s’en trouve une au fond de la cala, prés d’une petite plage, à l’écart de tout, ce qui n’empêche pas un marinero surgi de nulle part de venir nous facturer la nuit sur le champ. Les berges sont occupées par un bel hôtel assez discret et de belles maisons disséminées dans la verdure.
En route pour Cabrera, toujours contre le vent, bien entendu!
Cabrera
Au large de la pointe sud-ouest de Mallorca, s’élève un groupe d’îles dont Cabrera est la principale. C’est un parc national depuis 1991. Son accès limité impose de réserver l’une des 50 bouées sur internet, le mouillage étant interdit. Le caractère sauvage contraste avec la frénésie des constructions sur Mallorca. La lumière de fin d’après-midi éclaire les falaises ocres de Isla Conejera et de Cabrera. On pénètre dans le mouillage par une entrée étroite entre un château fort sur la colline à l’est et de hautes falaises à l’ouest.
Le site est vraiment spectaculaire, et l’abri parfait, sorte de lac au milieu des collines verdoyantes, où poussent quelques pins et des arbustes endémiques.
Quelques bâtiments émergent de la végétation : La Cantina, bistrot sur le quai et des bâtiments militaires discrets, qui rappellent que l’île fut longtemps terrain militaire. Ces logements servent encore à héberger une modeste garnison en poste, il y a pire…
Nous décidons de rester un jour de plus pour visiter le musée, nous balader et nous baigner et profiter d’une visite guidée organisée par le Parc National. Ignaqui, originaire du pays basque, nous détaille l’histoire de cette île dépourvue de ressources naturelles et au sol aride.
Au cours des siècles, elle a servi de base de piraterie contre Mallorca. Après la bataille de Bailen perdue par Napoléon, de 1809 à 1814, elle a servi de prison pour les soldats français capturés, laissés à l’abandon dans des conditions terribles. Seuls 3500 des 9000 échapperont à la mort. Un monument a été érigé à la mémoire de cet épisode peu glorieux et méconnu des batailles napoléoniennes.
Au début du 20ième siècle, l’île a connu en embryon de développement agricole avec production de vin, élevage de chèvres et fabrication de chaux. Elle a été réquisitionnée par les militaires après la guerre civile, avant d’être partiellement démilitarisée. Et, après une période de développement touristique, elle finalement a été décrétée parc national. Pendant cette promenade, Ignaqui nous fait découvrir la végétation mais la faune restera cachée en dehors des lézards endémiques. Surtout cette promenade nous fait découvrir des paysages magnifiques.
Nous terminons la soirée en admirant un somptueux coucher de soleil au pied des falaises en face du phare Anciola.
Andratx
Dur dur le retour à la civilisation avec ce petit stop pour déjeuner dans la cala Portals, ravissante conche presque fermée entre des falaises blanches abruptes, que l’on a connue déserte en janvier. C’est la foire d’empogne entre les 35 bateaux serrés comme des sardines : les ancres dérapent, la musique est plein pot, les gens braillent, les semi-rigides tournent autour des bateaux au mouillage!
On fuit avant d’être percutés, cap sur Andratx !
L’approche d’Andratx est spectaculaire avec une succession de caps dominant la mer de leurs hautes falaises, Cabo Andritxol, Cabo Llamp, Punta de la Mola… et le port d’Andratx apparaît au fond d’une profonde baie, cernée de hautes falaises.
Bouée juste en face de la ville balnéaire, très chicos, avec un quai animé où les bistrots et restaurants se touchent. Accueil très pro du marinero, marina luxueuse avec piscine, et formalités faites en un rien de temps sur la tablette du marinero. Cette remarque mérite une digression sur l’accueil dans les marinas espagnoles. Globalement, l’accueil est chaleureux, mais le check-in, extrêmement bureaucratique, n’a rien à envier aux îles-pays caraïbes. Il faut en général remplir 2 voire 3 imprimés, dans lesquels il faut réécrire à la main les mêmes renseignements. Et en général, une fois cette paperasserie terminée, la personne à l’accueil demande de vive voix les mêmes renseignements pour les saisir dans son ordinateur! C’est pourquoi on apprécie l’efficacité du marinero d’Andratx, qui fait tout ça sur son Samsung, avec le sourire, en s’excusant que ce soit aussi long, et en nous expliquant que, si on revient, ce sera gardé en mémoire. Pour une marina moyenne qui doit accueillir un millier de bateaux par an, ça fait du papier…qu’en font-ils? Mystère…
Après une balade au phare de la pointe, on dîine d’un délicieux arroz sur le port. Bon encore une fois, on va prolonger l’escale d’un jour pour découvrir l’arrière pays. Isabel, à l’office du tourisme, est très fière de nous expliquer les ressources de son pays, dans un français parfait, et de nous expliquer qu’elle a été interviewée pour présenter son île dans l’émission française “Echappées belles”, en ligne sur Youtube. Dans la discussion, elle nous apprend qu’elle vit dans la montagne, où elle fait du fromage de chèvre (dégustation à la clef, délicieux…) et qu’une communauté française vit depuis plusieurs générations près de chez elle, à S’arraco, où on entend encore souvent parler français. Suivant ses conseils, on va troquer nos chaussures de bateau contre celles de rando. Départ d’abord vers l’est en direction de Camp de Mar, malheureusement très touristique, mais où nous trouvons un bistrot-île fort accueillant…
Retour en taxi, et re-départ pour une longue balade vers l’ouest, au bord de l’eau puis sur les crêtes, dans un décor époustouflant…
…avec de beaux surplombs sur le port d’Andratx.
On rentre à la nuit épuisés au bateau. Départ le lendemain de bon matin pour Ibiza, à nous la teuf et les nuits courtes! (enfin, c’est ce qu’on croyait…)
Louis-Bernard Bohn
de bien belles vacances sur l’eau !
J’attends la suite !