Nassau
Nous avons rejoint Nassau à vitesse express depuis Shroud Cay, A mi chemin, la route fait passer sur le Yellow Bank, couvert de 3 à 4 m d’eau, mais parsemé de têtes de corail. Les avis divergent, certains disant qu’on peut foncer tout droit, d’autres prétendant connaître des bateaux qui ont touché. Malgré la mauvaise visibilité au milieu des grains, nous trouvons les cayes très noires, et par précaution, nous préférons les éviter, les 25 nœuds de vent d’est commençant à creuser la mer. A plus de 10 nœuds sur le fond, ça fait un peu rodéo. Quel choc de voir ces immeubles roses émerger sous un grain après les paysages sauvages à fleur d’eau que nous venons de parcourir! Ce sont les hôtels de luxe kitsch de Paradise Island, première vision de l’île de New Providence qui abrite la capitale des Bahamas, Nassau.
Autant le dire d’emblée, Nassau ne nous a pas laissé un grand souvenir. Tout ce qui tient debout est artificiel et destiné aux croisiéristes nord-américains. Une bonne partie du reste est à l’abandon, ce qui est quand même un comble quand on sait la masse financière qui y transite, plus ou moins légalement.
Les principales marinas bordent le bras de mer entre la côte nord de New Providence et Paradise Island, barré par deux ponts au milieu. Nous avons choisi Yacht Haven Marina pour son moindre coût et sa situation centrale, près du port de pêche qui, espère-t-on, la protège un peu du courant.
La manœuvre est particulièrement difficile pour accoster à ce ponton perpendiculaire au courant d’au moins 3 nds, hérissé de grosses piles en bois, sous l’étrave d’un bateau-pilote, et par un bon vent de nordet, mais nous réussissons un créneau parfait et nous voilà en sécurité. Enfin à peu près, car à peine amarrés, une barge imposante nous frôle à toute vitesse, son manœuvrier agrippé à des commandes d’un autre âge!
Il règne toutefois un gros clapot toute la journée, entre le vent qui se heurte au courant et les bateaux qui passent plein pot dans le chenal! Le restaurant qui domine la marina, le Poop Deck, nous tend les bras.
Nous apprendrons que c’est l’un des plus populaires de Nassau, à un prix abordable. Car Nassau est une ville d’argent, que déversent les touristes descendus des avions du monde entier et des paquebots (on en a compté jusqu’à 5 en même temps !).
Ce serait présomptueux de décrire Nassau, New Providence et Paradise Island après un séjour de 48h seulement et sans voiture. On ne pourra donner que nos impressions qui diffèrent sérieusement de la carte postale des guides touristiques : partis à pied en milieu d’après-midi, nous avons traversé des quartiers délabrés, des maisons abandonnés et des magasins en faillite, où même les limousines sont abandonnées.
Nous finirons par arriver au centre ville à la fermeture des boutiques. Elles fleurissent en face du terminal de paquebot avec leurs enseignes de luxe et leur lot de boutiques à touristes.
Dans le centre historique, on trouve les bâtiments gouvernementaux (peints en rose, inévitable) gardés par des policiers très british…
…les hauts-lieux de la finance locale…
et quelques rares vieilles demeures hébergeant les banques et les sociétés de consulting, mais le charme n’y est pas en cette fin d’après-midi.
Soirée conviviale avec l’équipage de Nemo, qui nous a accompagnés durant toute la traversée des Bahamas, avant que nos routes se séparent, Nemo vers les Bermudes et Spica vers la Floride. Le mobile en corail fait et offert par Nila décore désormais le carré de Spica et prolongera le souvenir de cette belle rencontre.
Ils nous vantent les beautés de l’aquarium d’Atlantis sur Paradise Island. L’île s’appelait autrefois Hog Island, l’île aux Cochons. Elle a été rachetée en 1962 pour 9,5 M$ par un milliardaire américain, Hutington Hartford, par un contrat passé en vitesse au dos d’un menu de restaurant avec le propriétaire de l’époque, un nazi bientôt persona non grata aux Bahamas (encore un…). Il avait repéré son potentiel, y engloutit une fortune en la rebaptisant Paradise, pour le marketing, c’est mieux.
L’île comprend en fait 3 parties : Atlantis proprement dit à l’ouest, toute une ligne de maisons d’ultra luxe le long des rivages est autour d’un golf, et des terrains vagues clôturés, sans doute attendant que leur prix s’envole suffisamment.
On y trouve aussi un authentique cloître de la région de Lourdes, racheté auprès du magnat de la presse Randolph Hearst, qui l’avait fait démonter et ramener aux USA pièce par pièce, un peu comme les Cloisters à New-York.
Le lendemain on vainc donc nos réticences et on part à l’assaut d’Atlantis, gigantesque complexe immobilier d’hôtels de luxe et de jeux aquatiques, dont de fameux toboggans vertigineux où on dévale dans l’eau tunnels et grand huit.
Il faut reconnaître que l’ensemble est assez réussi, avec une végétation magnifique, un immense parc bien dessiné et ses petites maisons neo-bahaméennes reconstituées abritant les boutiques.
Evidemment, ça fait un peu Disneyland et les touristes américains pourront repartir avec une image “clean” de Nassau. Et puis l’aquarium est vraiment gigantesque, de toute beauté.
A l’entrée, déception, les guichets sont fermés. Mais sans trop savoir comment ni n’avoir franchi aucune barrière interdite, nous nous retrouvons à l’intérieur sans avoir déboursé les 89$ d’entrée.
Le casino est à la hauteur. Il est de la taille d’un hall de gare. Il est bourré de salles de machines à sous, repaires de vieilles dames accros, cigarette aux lèvres et verre d’alcool à la main. Plus loin ce sont les tapis de baccara, pokers et autres jeux où les billets de 100$ servent de mise unitaire. On y trouve même des tables virtuelles où le croupier fait valoir de sérieux arguments pour attirer le client!
Le décorateur n’a pas eu peur des contrastes, avec ce bar doté d’une magnifique bibliothèque où il fait bon s’isoler dans la journée dans une ambiance feutrée, ou siroter un (très bon) cocktail dans une ambiance toute différente le soir. Parfait lieu de perdition, que l’on quitte sans regret pour retrouver le cockpit de Spica, calme et confortable, en passant, le long des ports, par les boutiques “roots” du quartier des pêcheurs, la vraie vie.
Et voilà c’est tout ce qu’on a vu de Nassau et il n’est pas certain qu’on revienne un jour combler nos lacunes…
Avant de partir, concertation sur la clearance de sortie. Elle s’avère facultative, mais possible, et les avis divergent sur son exigibilité à l’entrée aux USA. Pour aborder le redoutable CBP US (Customs and Border Protection) dans les meilleures conditions, on décide de la demander. Deux officiers se déplacent à bord, et nous remplissent, dûment tamponné et moyennant une somme indécente, le papier officiel … dont nous verrons qu’il ne sert finalement absolument à rien!
Berry Islands
On largue les aussières par un bon vent portant d’est sud-est, le grand beau temps est revenu après une semaine perturbée. Les ponts reliant Paradise Island à Nassau sont trop bas pour le mat de Spica, et nous contraignent à repartir vers l’est pour contourner Paradise en empruntant les Narrows, passage sinueux, étroit et très peu profond (moins de 2 m par endroits) qui la sépare de sa voisine Athos. 130 milles nous séparent de la Floride où nous préférons arriver durant les heures ouvrables, pour ne prendre aucun risque vis à vis de l’immigration. On a donc prévu de passer la nuit quelque part sur la route.
Le trajet direct passe entre une immense île au sud, Andros Island, et un vaste archipel au nord, les Berry Islands. Une trentaine d’îles bordent un vaste bank. C’est un lieu réputé de pêche au gros, en bordure des grands tombants de “Tongue of the Ocean”, la langue de l’océan qui pénètre profondément le Great Bahamas Bank. Les fonds passent brutalement de plus de 2000 à quelques mètres, attirant les grands poissons pélagiques, comme le marlin bleu, l’espadon, le thon rouge et leur principal prédateur, les grands yachts de pêche au gros venus de Floride.
Les îles elles-mêmes sont désertes et comptent peu d’abris sur leur côté sud. Les bonnes conditions nous laissent le choix entre trois mouillages possibles (l’ouest de Whale Cay, de Bird Cay et de Chubb Cay). On choisit le deuxième. Il n’y a pas beaucoup d’eau près de Bird Cay, on doit donc mouiller au large dans 2 mètres d’eau, mais l’absence de houle nous garantit une nuit tranquille, sur un très beau fond d’herbiers.
Le lendemain matin, on va mouiller devant le village de Chubb Cay. Contrairement aux autres Berry Islands, l’île est très touristique, avec une belle marina, un aéroport et de belles maisons au bord de l’eau.
C’est en effet une escale incontournable, notamment pour les motoryachts, pile sur la route directe de la Floride. Mais l’île a été dévastée à 2 reprises par des cyclones, il y a 3 ans et en octobre dernier par Matthew de sinistre mémoire (qui a ravagé tout le nord des Bahamas et toute la côte est US). L’île a été totalement fermée pour reconstruction, les bâtiments ayant été pour certains sévèrement touchés.
La marina n’abritait plus qu’un bateau lors du passage de Matthew, et les infrastructures lourdes (pontons, quais) n’ont pas trop souffert (mais tout le reste, eau, électricité, … a été arraché). On nous indique sur place que la marina devrait réouvrir en juin 2017, après plusieurs mois de travaux, hélas après la fin de la saison.
Nous en repartons en début d’après-midi, en prenant “l’autoroute” Nassau – Floride”. Elle traverse le Bahama Bank, profond de 5 à 6 mètres, mais aucune tête de corail cette fois-ci. Donc pas de stress en voyant défiler le fond sous les coques. Elle est empruntée par un fort trafic de toute nature, bateaux privés, petits cargos, …
L’entrée et la sortie de ce “Northwest Channel” se font par un passage étroit de quelques centaines de mètres, donc tout le monde est en file indienne, la vigilance est de mise. A la sortie, entre Hen and Chickens et le Grand Isaac, on est encore à plus de 50 milles (90 km) de Miami. On est pourtant presque ébloui par la lueur blanche qui dessine à l’horizon toute la côte de Floride, dans une débauche d’énergie à laquelle il va falloir nous habituer.
Derrière nous, les Bahamas restent dans le noir, avec juste la lueur de Nassau. Ce fut une belle découverte : des habitants d’une grande gentillesse, des mouillages exceptionnels, une eau claire comme jamais on a vu (même en Nouvelle Calédonie!), des juxtapositions de couleurs bleues inouïes. Tout cela nous donne vraiment envie d’y revenir explorer d’autres coins comme Eleuthera, la grande île du Nord-Est, Abaco ou Bimini…
Claire Guihard
Et le beau voyage continue…mille mercis.
Claire Guihard
Et le beau voyage continue…merci