Attention, découverte totale! Qui connaît Turks and Caïcos? Pas nous, avant d’avoir plongé notre nez dans les cartes marines de la région!
Petit rappel géographique : l’arc des petites Antilles se termine au nord par les Iles Vierges. Au-delà, on trouve directement à l’ouest : Puerto Rico puis Hispaniola, partagée entre Haïti à l’ouest et la République Dominicaine à l’est. Si l’on veut rejoindre les Bahamas, la route passe par les Turks and Caïcos, micro-état composé de deux archipels séparés par le Colombus Passage : Grand Turk, capitale administrative de l’île, et les Caïcos regroupant 7 îles qui entourent un vaste lagon de 2 à 3 mètres de profondeur sur 50 miles de diamètre.
C’est un pays à demi indépendant, territoire d’outre-mer rattaché au Commonwealth, régulé par un Gouverneur nommé par Londres qui a pouvoir de censure sur les actes du gouvernement local, au même titre qu’une douzaine d’autres iles-états rattachés à la Couronne. Pavillon britannique agrémenté d’un cactus à bonnet turc, d’un lambi et d’une langouste, pour la couleur locale. Le lambi, appelé ici “conch”, comme aux Bahamas, est en effet un des produits de la mer les plus abondants et les plus utilisés en cuisine.
Ces îles étaient peuplées de lucaïens, indiens Arawak pacifiques, à l’arrivée de Colomb en 1492. Comme sur la totalité des îles, au gré de leur exploitation par les espagnols, notamment dans les mines, et des maladies contre lesquelles ils n’étaient pas immunisés, leur population a été entièrement détruite. Sa population actuelle est un melting pot des différents flux migratoires au cours des siècles : descendants des esclaves africains, loyalistes fuyant la révolution américaine, bermudiens et français venus exploiter le sel, pirates, travailleurs haïtiens et de République dominicaine, et maintenant investisseurs canadiens et surtout touristes américains.
Départ de Jost Van Dyke, au nord des British Virgin Islands, au lever du soleil et cavalcade de 450 miles poussés par un alizé d’est-sud-est sur une mer un peu formée, d’abord sous gennaker puis sous solent et un puis 2 ris quand le vent monte à 22-24 nœuds. Le premier jour, grand ciel bleu et mer bleue foncée. Le deuxième jour, tout est gris et le tonus raplapla.
Grand Turk
Arrivée le samedi en milieu de journée à Grand Turk, île plate entourée d’un reef qui n’offre pas de protection au vent. Mauvais calcul : qui dit pays indépendant anglo-saxon, dit clearance fermée le week-end, sauf extra de 50$ qu’on n’a pas envie de payer. Donc pas de débarquement possible. On mouille devant le village, sous le vent d’une musique tonitruante, heureusement excellente. Une belle église, quelques maisons, le village semble réduit à sa plus simple expression.
Le fond remonte en quelques mètres de plusieurs centaines à 2-3 mètres et on a de la peine à trouver du sable entre les coraux pour crocher l’ancre. Un seul bateau est déjà au mouillage : il s’agit de Nemo, un 5X sorti lui aussi du chantier Outremer, qui semble le grand frère de Spica. On passe leur faire une petite visite de courtoisie et on fait connaissance le soir autour d’un verre de vin blanc avec le norvégien Knut Frostad, marin de référence dans la course au large (et ancien boss de la Volvo Ocean Race, course autour du monde en équipage qu’il a courue 3 fois), qui prend une année sabbatique pour naviguer avec Tone et leurs deux adorables fillettes. Nous allons prolonger cette rencontre tout au long de notre découverte de Caïcos pour notre plus grand plaisir (et en bénéficiant de précieux conseils sur les réglages de Spica!).
Nous faisons donc l’impasse sur la visite de Grand Turk, d’autant que le mouillage est inconfortable. Nous repartons le lendemain matin avec Nemo, par 25-30 nds au portant vers South Caïcos, distant de 30 miles.
South Caicos
South Caïcos borde la partie est du lagon. Le village principal, Cockburn Harbour, est un port d’entrée (où on peut y faire les formalités de douane et d’immigration). Le mouillage se situe devant Cockburn Harbour, dans très peu d’eau à proximité d’un cargo échoué tout rouillé, d’une bouée échouée là venant de Puerto Rico lors du dernier cyclone et d’un vieux bateau de pêche. Les quais sont défoncés et une épave rouillée ferme la petite marina. Cela donne une ambiance spéciale… Nous partageons ce mouillage avec 2 autres bateaux dont Nemo, sur une belle eau couleur émeraude.
L’accueil est partout chaleureux. A terre un quidam qui passait par là nous propose de nous accompagner aux douanes et à l’immigration, et restera avec toute la matinée. Il nous raconte en chemin des tas d’histoires auxquelles on ne comprend pas grand chose. On traverse le village entre des maisons abandonnées, en ruine et d’autres constructions plus récentes.
Mais il y a de l’activité, avec un resto-bistrot sympa sur le port. Le passage aux douanes se situe dans un bâtiment tout à fait officiel, qui fait face à un superbe ponton d’accueil, qui n’a pas dû accueilir beaucoup de paquebots!
Ensuite, l’accueil de l’officier l’immigration est particulièrement chaleureux : après un coup de fil des douanes pour la prévenir de notre arrivée, on se rend a pied chez elle. De là, elle nous emmène dans sa voiture jusqu’au bureau, assez éloigné, et nous offre un calendrier du pays accroché au mur, relatant ses hauts faits de voile! Une curiosité de plus : dans ce pays rattaché à la Grande Bretagne, on roule à gauche. Mais l’économie est totalement dans le giron des USA, donc les voitures (et les cars scolaires!) ont leur volant à gauche (sauf celles achetées au Japon…).
Il semblerait que South Caicos ait désormais des rêves de grandeur avec l’agrandissement de l’aéroport permettant d’accueillir des vols internationaux, et ainsi rivaliser avec Providenciales (appelée “Provo”), une autre île de l’archipel, capitale économique du pays. Une balade à pied nous fait découvrir un lac salé, vestige de ce qui fut un temps la base de l’économie des îles, et un hôtel de standing pour américains en quête de solitude. Bref un petit coin de paradis loin de l’agitation touristique, et avec une population accueillante comme rarement.
Un artiste autoproclamé s’est installé tout près. Une de ses spécialités, la sculpture de conch, qu’il coupe en deux avant d’en faire toute sorte d’objets, certains d’ailleurs plutôt réussis. C’est vrai que la matière première abonde!
Caicos Bank et Provo
L’étape suivant est un grand moment de navigation qui restera marqué dans nos mémoires : la traversée du “Caicos Bank” de South Caïcos à Provo. Il s’agit d’un immense banc de sable, hérissé de cayes de corail, plus ou moins denses et plus ou moins profondes, qui constitue comme un lagon de 50 milles de large (plus de 90km) au sud des îles principales des Caicos où on logerait 25 fois le Bassin d’Arcachon.
Ces cayes sont repérées sur la carte par une petite croix, et il y en a à peu près partout.
Bien qu’elle soit assez précise, la cartographie n’est qu’une aide pour trouver les meilleures routes, uniquement au GPS, puisqu’on navigue très loin de toutes côte visible. La navigation se fait uniquement à l’œil, avec une veille absolument permanente.
Ces cayes peuvent être profondes (bien au-delà du tirant d’eau du bateau) ou affleurantes, on ne sait pas, tout ce qu’on voit, c’est une masse sombre sur le bleu-vert du fond. De temps en temps, on voit aussi du sombre, vaguement plus marron, et c’est un inoffensif banc d’herbes au fond. A chaque fois, discussion, banc d’herbe ou caye? Pour corser le tout, les ombres des nuages qui ressemblent furieusement à un haut fond, qu’on distingue seulement à leur déplacement. Naturellement, dès que le ciel est couvert ou qu’on a le soleil de face, on ne voit plus rien et c’est la roulette russe. Donc, en résumé, naviguer sur le bleu-vert, en zigzaguant entre le sombre, et en étant prêts à s’arrêter si besoin.
Les guides de navigation incitent d’ailleurs à la prudence : “avoir une carto précise, une bonne visibilité, le vent portant, un bon moteur, partir tôt pour faire toute la route de jour, choisir sa route en fonction du tirant d’eau et assurer une veille permanente pour repérer les cayes”.
Pour ces raisons, avec Nemo, nous choisissons de traverser à petite vitesse, sous solent seul, sans grand-voile, car il est très quasiment impossible de ralentir un cata sous GV.
Spica disposant de cartes plus précises et surtout d’un tirant d’eau plus faible, ouvre la route.
Les 6 heures que durent la traversée sont fascinantes, tout est bleu-vert, y compris la base des nuages qui reflète la couleur de la mer.
Nous avions prévu de mouiller à Sapodilla Bay, le mouillage classique de Provo. Le vent, obstinément de SE et assez frais, rend le mouillage intenable, et de concert avec Nemo,
nous décidons de nous dérouter vers une petite marina improbable, South Side Marina, un peu à l’est de Sapodilla. L’accès est particulièrement tortueux entre les cayes, et peu profond.
A l’arrivée, le chenal ne fait que quelques mètres, et nous nous faufilons entre deux murs sous-marins qu’il vaut mieux ne pas tutoyer, le bassin ayant été creusé de toutes pièces dans du calcaire, pour servir de base de transport de matériaux de construction. Nemo, qui a un plus grand tirant d’eau, touche le fond sableux au passage.
A l’arrivée, on est accueils par le propriétaire, Bob Pratt et son assistant Julien, qui nous aident à nous amarrer à des pontons branlants.
L’endroit est charmant, avec toutes les facilités (des douches et une laverie somptueuses, un wifi plein pot).
Bob, britannique pur jus qui a dû pas mal rouler sa bosse, entretient soigneusement ses installations malgré la vétusté de ses pontons, c’est le type-même du “helpful guy”, qui n’hésite pas à amener ses clients au supermarché en allant déjeuner. Il vient d’ouvrir un bar, point de rendez-vous des expatriés britanniques, canadiens et américains.
Par contre la marina est totalement isolée sur la côte sud, où seules quelques belles maisons bordent la côte, alors que les développements touristiques sont sur la côte nord, près de Grace Bay. L’environnement reste assez sauvage, avec une vue époustouflante sur le Bank.
Nous voilà donc partis à vélo, sous un soleil torride à la découverte de l’île. Et effectivement hôtels de luxe et villages de vacances s’étalent sur la côte nord. Il faut dire que les plages de sable fin sont superbes, avec un reef bordant le rivage qui les protège de la houle atlantique. Les touristes américains sont au rendez-vous. Arrivés devant le portail d’une immense propriété dont on nous interdit l’entrée (“full inclusive”, ce qui signifie réserver et payer d’abord, pouvoir consommer de tout ensuite), nous décrétons que toute cette partie ne présente pas grand intérêt, sauf peut-être l’ultime extrémité est, Leeward Point. Retour au coucher du soleil, ponctué par un splendide vol plané du skipper trahi par l’éclatement de la roue avant de son vélo.
On se remet au Bob’s bar où, comme tous les mercredis, il y a barbecue, avec excellent orchestre jouant les standards américains, un monde fou et une bonne ambiance. Nous passons la soirée avec l’équipage de Nemo à partager saucisses espagnoles et taboulé…
Au final, le contraste est saisissant entre Provenciales et ses investissements massifs (et parfois bizarres, comme ces maisons toutes neuves qui restent totalement vides…), les autres îles, beaucoup plus sauvages et authentiques, mais qui essaient de ressembler à Provo et le fabuleux Caicos Bank au milieu, dont nous n’avions pourtant jamais entendu parler dans aucun bouquin ou aucune revue nautique. Symbole de ces contrastes, nous quittons Provo par l’ouest via le Sanbore Channel, qui nous fait passer au nord de West Caicos. De jour, une muraille d’immeubles couvre sa côte nord. Une fois la nuit tombée, pas une lumière. En cherchant, nous découvrant que la marina locale et le resort qui l’accompagne n’ont jamais été terminés. Là aussi, argent douteux? Mystère…
Louis-Bernard
Tout cela n’est plus inconnu pour vous… et il semble que les illustrations ne sont qu’un petit aperçu de l’aventure vécue à raser ou zigzaguer avec les coraux… sans parler de la découverte des terres plus ou moins habitées…
Que de regrets de ne pas être des acteurs de ce récit… pour ceux qui sont à terre !
Amitiés;