Nous étions particulièrement inquiets de la date exceptionnellement tardive du Grand Pavois. Nous savons qu’en octobre, c’est souvent le début du défilé des dépressions atlantiques, faisant du golfe de Gascogne l’une des pires mers de la planète. Mais décidément tout marche à l’envers, et un splendide anticyclone s’est installé sur l’ouest de l’Europe, garantie de vent d’est faible à modéré et de mer plate! Branlebas de combat avant même la fermeture du salon. Spica part de son ponton en emportant l’équipe d’Outremer et son matériel (ce sera plus rapide et plus simple de tout vider au calme d’un ponton en dehors du salon). Il s’agit de remettre tout notre propres matériel à bord, d’aller chercher nos affaires à Nantes, et nous prenons la mer dès le 6 au soir, direction La Corogne, en compagnie de Cheglia et Kata Lind.
Cheglia est un Boréal 52 allemand que nous retrouverons plus bas. Kata Lind est un catamaran construit en Islande par ses propriétaires sur plans de l’architecte Gilbert Caroff (dont j’ignorais qu’il excellait dans ce registre, étant plus connu pour ses plans de bateaux de voyage un peu rustiques en acier ou alu). Elle islandaise, lui français ont passé tous leurs loisirs ces dernières années à stratifier, poncer peindre et aménager ce cata de 50 pieds (une quinzaine de m) sur un terre-plein en Islande, où ils vivaient. C’est gonflé pour une première tentative, tout comme leur première sortie, Reijkjavik – Brest au printemps, dans les conditions qu’on imagine. Ils ont tout vendu et partent pour un long périple, débutant en Méditerranée, après un hivernage au sud du Portugal.
Conditions magnifiques jusqu’en Galice et à La Corogne.
Mais qui dit anticyclone sur l’Europe continentale dit dépression sur Madère : le flux atlantique est en quelque sorte bloqué au large. Nous en voyons les prémices dès les rias bajas, au sud de la Galice. Comme nous avons plein de temps, nous y traînons un peu. La pluie nous rejoint à Baiona, puis le long du Portugal, mais là ça devient sérieux : le vent doit se renforcer de Sud, avec la grosse houle réglementaire qui l’accompagne. Il s’agit de ne pas se faire coincer dans l’un des abris portugais, dont les accès sont fermés par les autorités à partir d’un certain niveau de houle.
Les signes avant coureurs du mauvais temps se font sentir près du Cabo Raso, avant le Tage.
Cascais, avec son train de banlieue qui nous emmène en 1/2 h au centre de Lisbonne nous paraît idéal pour une longue période sans naviguer. Des bateaux de tout type et de toute nationalité (en route pour une transat ou un périple en Méditerranée), sont déjà à l’abri ou vont nous rejoindre. Plus que le vent, c’est la houle qui se fracasse sur la jetée du port, à quelques mètres, qui est spectaculaire : 6 m sur zone, 9 à Madère où nous comptions aller, c’est beaucoup et ça va durer, 8 jours en tout. Au programme de chaque jour, papotage ponton, puis visite de Lisbonne, que nous finirons par bien connaître. Notre top 4 : le musée de la navigation, le couvent des Hieronimos, le musée des Azulejos et le musée Gulbenkian.
Nous connaissions déjà le premier. Sa salle des maquettes est inouïe.
L’entrée est impressionnante. On est accueillis par la statue d’Henri le Navigateur, à côté duquel les sponsors du Vendée Globe font bien petit bras. Derrière lui, une immense carte rappelle les voyages qu’il a armés, dont les capitaines s’appelaient Vasco de Gama, Gil Eanes, ou Diogo Gomes.
On leur doit notamment le premier passage du cap de Bonne Espérance, la conquête de la route des Indes, du Brésil, … Un détail savoureux figure sur cette carte, la ligne de partage du monde en 2 datant de 1494 : à l’ouest, l’Espagne, à l’est le Portugal (évidemment, sans les anglais, c’est plus simple!). A noter que la ligne est suffisamment à l’ouest pour que le Bresil se retrouve bien à l’est! La suite ne sera que grandeur et décadence, mais c’est une autre histoire.
Juste à côté, symbole de cet âge d’or, le couvent des Hieronimos déploie sa dentelle de pierre et abrite la tombe de Pessoa, non loin de celle de Vasco de Gama, dans l’église adjacente.
Le musée des Azulejos invite à un autre voyage dans le temps, à une époque où les techniques et le savoir faire arabes devaient révolutionner pendant plusieurs siècles l’art portugais. Le musée est construit autour d’une église où on a dû donner carte blanche à un décorateur un peu fou.
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La visite se termine par la vue de Lisbonne réalisée peu de temps avant sa destruction par le tremblement de terre de 1755, sorte d’immense panoramique mémoire de cette époque.
Il faut faire plus d’efforts de transports pour visiter le musée Gulbenkian, situé dans un quartier résidentiel un peu éloigné du centre, mais ces efforts sont récompensés. Callouste Gulbenkian, riche industriel arménien chassé de Turquie et réfugié au Portugal, décide dans les années 50 de financer la construction d’un immense musée pour abriter sa collection d’une vie. Chaque pièce est exceptionnelle, et il y en a des centaines, avec une collection unique d’art islamique (tapis et azulejos, de peintures du début du 20ieme, de meubles, et de pièces de Lalique dont il était ami et client).
Nous n’oublions pas pour autant de visiter Cascais. La bonne société de Lisbonne y faisait la fête dans de belles maisons, comme celle, située près du port actuel, construite par un irlandais.
Cascais est aussi la ville d’origine du dernier roi du Portugal. Plus intéressé par le bateau et la peinture que par les affaires publiques, il finira assassiné, ouvrant la voie aux plusieurs dizaines d’années troubles que l’on sait.
Et si on naviguait à nouveau? Le 8, ça s’ébroue sur les pontons, une fenêtre semble se présenter, qui sera saisie par quelques premiers bateaux dont nous faisons partie. On oublie Madère, il ne reste pas assez de temps pour en profiter, et la situation météo reste instable sur l’ouest. Cap direct sur les Canaries. Avant de partir, on réalise qu’on aimerait bien faire un saut par Graciosa, petite Ile situé au nord de Lanzarote. Le problème, c’est qu’il s’agit d’une réserve naturelle, avec obligation d’obtenir un permis pour y mouiller. On peut en faire la demande sur internet, mais l’administration espagnole traite hors ligne et demande un mois de délai! Heureusement, Mel Symes veille. La patronne de la marina de Lanzarote nous arrange tout ça, et nous recevrons en route par la précieuse autorisation.
La route se fait sans histoire, malgré l’inconfort d’un coup de vent d’est sur Gibraltar, qui, opposé au reliquat de houle d’ouest, nous secoue pas mal. Petit temps pour la suite, et nous arrivons de nuit dans le détroit du Rio, qui sépare Lanzarote de Graciosa. La mise en place du parc naturel autour de Graciosa ne laisse pas le choix du mouillage. Seule la plage de la Francesa, au sud, est autorisée. Pas très fiers, nous nous faufilons entre les bateaux déjà à l’ancre, dans un noir d’encre. Heureusement, tous sont mouillés plutôt loin de la plage, ce qui laisse à Spica, avec son faible tirant d’eau un superbe emplacement au pied du volcan que nous découvrons le lendemain matin.
Graciosa est une Ile sauvage, très calme, et bien desservie depuis le nord de Lanzarote. Deux villages, une petite marina, de belles plages, quelques volcans et c’est tout. Le départ pour Lanzarote, le lendemain, est un régal, au près à tirer des bords au pied de l’immense muraille qui abrite le mirador del Rio, de Manrique (voir plus loin).
À force de traîner, c’est encore de nuit que nous arrivons à Puerto Calero où Spica va rester jusqu’en janvier. Malgré l’heure de tardive, nous sommes accueillis par le marinero de service, confus de ne pas parler mieux anglais.
Nous retrouvons avec beaucoup de plaisir Lanzarote et Puerto Calero. Nous y avions laissé Nunki en 2006 avant notre transat, et nous en gardions un excellent souvenir. La marina est toujours aussi bien tenue malgré les difficultés économiques, avec un excellent service et un staff souriant et efficace. Le port a été construit il y a 30 ans par Jose Calero, entrepreneur de travaux publics local qui a eu le flair d’y acheter du foncier et d’y développer une station touristique autour du port, bien protégé de la houle du sud par un retour de la côte et par Furteventura.
Lanzarote tranche sur les autres îles des Canaries. Elle a été à peu près tenue à l’écart du bétonnage généralisé par l’action obstinée d’un artiste, Cesar Manrique. À la fois sculpteur, peintre, architecte, ami de Picasso et de Miró, il est revenu dans son Ile natale dans les années 50, et a pris la tête du combat contre les promoteurs. Le résultat est impressionnant : quasiment pas d’immeubles dans l’île (à l’exception de Puerto del Carmen et de Playa Blanca), et un certain respect de l’histoire et de l’environnement. Manrique a lui-même été l’auteur d’aménagements incroyables, souvent intégrés dans les coulées volcaniques : sa propre première maison dans une bulle de lave, un auditorium dans un immense volume sous terre issu d’une coulée de lave, le mirador del Rio, intégré de manière invisible à la falaise qui surplombe Graciosa, et les aménagements du parc naturel de Timanfaya, avec le restaurant qui fait cuire sa viande sur un puits volcanique.Son architecture privilégie l’ouverture sur l’extérieur, avec un usage très en avance sur son temps des plaques de verre collées sans joint, de façon à donner l’illusion d’une continuité totale entre l’intérieur et l’extérieur, comme l’extraordinaire fenêtre de sa première maison laissant la coulée de lave entrer dans la pièce…
…le Mirador del Rio…
…ou les salles de bain de sa deuxième maison.
Et nous en découvrons encore : on vient d’ouvrir sa dernière maison, à Haría, petit village du nord. Comme il est mort brutalement d’un accident de voiture, on la visite, avec son atelier, dans l’état où il l’a quittée le matin de sa mort.
Lanzarote, c’est aussi une histoire de vin. Principalement, de vin blanc : le cépage principal, malvasia volcanica, accepte de survivre dans les conditions dantesques de froid vif la nuit, de chaleur insupportable le jour, dans la lave noire, sans eau autre que la rosée. Les pieds de vigne, dont certains ont plus de 200 ans (il n’y a pas eu de phylloxera à Lanzarote) sont plantés dans des creux du “picon” (la cendre volcanique), chaque pied étant protégé du vent par des pierres posées en arc de cercle.
16 producteurs seulement se partagent le marché, alimentés par 1600 petits propriétaires possédant entre 1 et 2 ha. Les rendements sont évidemment très faibles. Le blanc est très bien fait, très original à la fois minéral et fruité. Heureusement, nous avions conservé un peu de place à la cave (dans les cales).
En vrac, quelques images typiques de Lanzarote…
… Teguise avec une belle maison canarienne et la place de l’église:
…le parc national de Timanfaya, siège de la dernière éruption de 1830…
…la petite église de dont la croix au premier plan aurait arrêté la coulée de lave de 1730 (ça nous rappelle l’histoire similaire de l’église de St Joseph, à La Réunion)…
…le col de Femes, vers le sud et l’ile de Fuerteventura voisine…
… le village de Playa Quemada…
… ou la capitale, Arrecife, qui n’est pas facile à découvrir du fait d’un plan de circulation ahurissant, mais qui abrite de beaux quartiers comme le Charco ou l’église St Gines.
Il nous reste un peu de boulot pour finir de préparer le bateau pour la suite, avant de filer vers Tenerife et rejoindre les participants du Carribean Odyssey.
Claire guihard
Superbe comme d’hab!
Vincent jean-roger et Marie-pierre
Belle invitation à découvrir Lisbonne et Lanzarote !
Vivement la suite…
Bonne traversée,
Amitiés
Jean LEMAISTRE
Photos magnifiques de Lanzarote Plusieurs vraiment très réussies
Bravo
Et pour le voyage rien ne se passe jamais comme prévu : traversée cool du golfe de Gascogne ! Une surprise sympa.
Merci pour l’information et l’ambiance
Bon vent pour la suite