Spica est resté bien abrité au sec, pendant les 3 mois d’été, dans le chantier Brewer Cove Haven Marina, à Barrington. Sous les arbres du parc voisin, au milieu des écureuils, loin des ouragans qui ont dévasté les Caraïbes et le sud des Etats Unis, nous avions mis toutes les chances de notre côté.
Mais on ne peut être totalement serein en cette saison : la côte du Rhode Island a été détruite à deux reprises au vingtième siecle. L’ouragan de 1938 avait fait plus de 600 morts, avec une surcôte de marée de plus de 4 mètres qui nous aurait emportés. Celui de 54, bien que moins meurtrier, est resté dans les mémoires comme un des plus puissants jamais vus.
Nous avions sélectionné ce chantier pour la largeur de son élévateur (aux USA, on trouve partout des élévateurs de plus de 150 tonnes, mais rarement de notre largeur!) et sa situation tout au fond de la baie de Narragansett, à Barrington, près de la capitale Providence. On y a trouvé surtout un accueil chaleureux de Pat et de son équipe, et le règlement rapide et sans embrouille d’un problème technique lors de la mise à sec du bateau.
Michel est venu caréner en septembre et le bateau est tout propre… dessous, car dessus il est recouvert des feuilles arrachées par le vent et la pluie de l’ouragan Jose, rétrogradé en tempête tropicale, qui se comble au large. Nous profitons de ces quelques jours à sec pour refaire les courses de frais et visiter les villages qui mériteraient un séjour plus long. On ne savait pas que Barrington avait été classée parmi les 100 premières villes où il faisait bon vivre aux US. Loin du luxe de Newport, Martha’s Vineyard et Nantucket, construites au milieu de la forêt entre les lacs et les bras de mer, les petites villes de Barrington, Warren et Bristol sont les témoins des premières implantations des colons aux US et gardent un charme un peu désuet du XVIII et XIX siècles.
Bristol, en particulier, abrite le musée de Nathanael Herreshoff, architecte naval de génie qui, avec son frère aux commandes du chantier familial, a construit pendant 30 ans les plus beaux bateaux de l’époque. Baptisé “the wizzard of Bristol” (le sorcier de Bristol), il n’a pas cessé d’innover dans tous les secteurs. Amarylis, premier catamaran ultra-léger, construit en 1875 (Herreshoff avait 27 ans) est exposé au musée, tous les traits des multicoques modernes sont là!
Ensuite ce fut la longue saga des grands vainqueurs de la course de l’America, Columbia, Enterprise, Rainbow, Reliance, Ranger, …, dessinés en propre ou par de futurs grands noms comme Starling Burgess ou Olin Stephens, et aussi de plans historiques qui naviguent toujours, comme la goélette Mariette. Au ponton, Eleonora, superbe goélette sister-ship de la célèbre Westward de 1910, un des plus illustres bateaux jamais dessinés, 50 m d’élégance et de performance, hélas sabordée en 1947.
Le génie d’Herreshoff s’exprimait aussi dans la conception de plus petits bateaux de croisière ou de régate, où la recherche de simplicité allait jusqu’à installer des mats autoportants, sans gréement dormant. Dans un article précédent, on s’était étonné de l’absence de souvenir de l’America à Newport, ce musée y supplée largement. Herreshoff a aussi conçu bon nombre de motoryachts et leur système de propulsion, et même des torpilles!
Mise à l’eau repoussée d’un jour à cause du gros mauvais temps qui persiste, nous passons la dernière nuit à terre à nous balancer suspendus à l’élévateur.
Le lendemain, on flotte, mais le chantier nous demande de ne pas quitter la fosse de l’élévateur, la météo annonçant encore des rafales à plus de 30 nds.
Une fois le beau temps revenu, on prolonge notre séjour à la marina pour profiter de l’été indien. Sur le ponton, on remarque que le bateau d’à côté hisse un pavillon portugais, pavillons qui fleurissent partout dans les environs. Michel va se renseigner et apprend qu’une colonie portugaise importante a été accueillie par Kennedy en 1957. Cette vague d’immigration faisait suite à la destruction de l’île de Faial aux Açores par l’éruption d’un volcan en 1957. Ils se sont établis dans cette région agricole et de chasseurs de baleines proche de leurs traditions, rejoignant ainsi d’autres vagues d’immigration portugaise beaucoup plus anciennes.
On ressort nos vélos pliants vert citron et framboise, qui nous valent un succès fou, pour emprunter une piste cyclable construite sur le trajet d’un ancien chemin de fer au milieu de belles maisons dans des jardins impeccablement entretenus tout au long de cette côte entièrement boisée et incroyablement découpée.
C’est ainsi que l’une des gares a été transformée en bistrot-torréfaction par un jeune éclairagiste des studios de Los Angeles qui avait envie de changer de vie. C’est donc chez Borealis que nous avons pris nos habitudes de petit déjeuner, pour déguster un café choisi et torréfié par le patron, accompagné de muffins et de fruits frais!
Comme souvent aux USA, le samedi est jour de rassemblement, cette fois-ci de vieilles voitures extraordinaires, à Riverside.
Lundi 25 septembre, on y va… mais où au fait? Plus à Annapolis, puisque le chantier Outremer a annulé au dernier moment la présentation de Spica au Boat Show. On aurait aimé le savoir plus tôt, mais du coup on est libre de faire ce que l’on veut … ou ce que l’on peut selon la météo. Après Jose, l’ouragan Maria pointe son nez. Bien qu’affaibli, il devrait nous envoyer de la houle, de la pluie et du vent. Alors on va tenter de rejoindre le Maine que tout le monde nous recommande, en se jouant des bancs de brume et avant que le givre ne prenne sur le pont.
Claire guihard
Le Maine ! ce que j’en ai vu dans les reportages m’a donné envie d’y aller…on peut toujours rêver…j’attends votre récit. Bonne route et continuez à bien profiter.