C’est un véritable archipel, dont les deux îles principales, Great et Little Abaco, forment un croissant orienté nord-ouest / sud-est. Un immense lagon, très peu profond s’étend côté ouest jusqu’à Grand Bahama. De l’autre côté, de nombreux îlots, appelés Cays (version locale des Keys de Floride), sont reliés par une barrière de corail, qui ne s’interrompt que pour quelques passes étroites. Les premiers habitants de ces Cays furent des immigrants loyalistes.
– Lynyard Cay
Partis tôt le matin de Spanish Wells, à la pointe nord-ouest d’Eleuthera, après un dernier au-revoir à l’équipage de Moby,
nous remontons au près plein nord. Le nordet annoncé est toutefois plus nord que prévu, et nous oblige à tirer un contre-bord vers l’est, à l’atterrissage sur Abaco où une houle de 2 à 3 m, non prévue, nous attend. En plein milieu du déjeuner, la ligne siffle et l’on remonte un joli mahi mahi, taille parfaite pour deux. Mais après la bagarre pour le remonter et le découper, on se rend compte qu’on est en retard pour franchir de jour la passe sud d’Abaco, impraticable de nuit, et qui n’est pas la meilleure par forte houle. Alors on s’appuie sur le moteur pour se présenter devant la passe de Little Harbour juste au moment du coucher du soleil. Ca déferle de part et d’autre, mais, avec l’aide des logiciels de cartos très précis et d’une visibilité encore correcte, on franchit la passe de justesse. Le plan B, c’était passer la nuit à la cape dehors, ça motive pour tenter le plan A. On jette l’ancre en eau parfaitement abritée en face de l’îlot de Lynyard Cay. Il n’y a plus qu’à préparer et déguster un délicieux ceviche de mahi mahi à la mangue!
Le lendemain matin c’est farniente et baignade. Malheureusement la marée n’est pas bonne pour aller visiter le havre de Little Harbour, accessible uniquement à pleine mer alors on poursuit vers le nord.
– Hope Town
La navigation dans la Mer d’Abaco est un régal : mer plate, eau turquoise. Mais il faut être vigilant car le chemin est semé de nombreux bancs de sable et de patates de corail.
Halte déjeuner à Tilloo Cay en face d’une petite plage, avant de rejoindre Elbow Cay célèbre pour son abri naturel de Hope Town (et qui constitue effectivement le coude – elbow – de la partie NE des Abaco). Sous un soleil de fin d’après-midi qui rehausse les couleurs, on s’engage dans l’étroite passe, au niveau d’une étonnante île-maison.
En longeant les terrasses des maisons en bordure d’eau, on découvre le lagon intérieur, excellent abri naturel de tous les vents.
Malgré la présence de nombreux bateaux, il reste des bouées libres, au prix unique de 20 $. Balade le soir dans le village très calme aux belles maisons bien entretenues.
Les ruelles s’ouvrent sur de belles perspectives.
Christine a peut-être trouvé une nouvelle opportunité de remplacement.
Mais ce sont les belles maisons anciennes construites au bord de l’eau sur pilotis, qui attirent le plus notre attention.
Cocktail à la terrasse du seul bistrot ouvert : un Bahama Mamma bien sûr! Le lendemain matin on monte en haut du célèbre phare rayé rouge et blanc.
La vue d’en haut est magnifique, on a rarement l’occasion de trouver un point haut aux Bahamas.
Ce phare, construit en 1836, n’a pas fait que des heureux, car les habitants de l’île tiraient une grande richesse du pillage des nombreuses épaves en ce début de XIXème siècle. Il reste le seul au monde toujours en service dans son état d’origine, sans électricité : cuve flottante sur du mercure, mécanisme animé par des contrepoids descendant dans la colonne centrale du phare, lampe utilisant du kérozène sous pression vaporisé.
Le déjeuner permet de surveiller Spica.
La visite du musée vaut aussi le coup pour comprendre le peuplement de l’île et en particulier l’histoire d’une famille, Wyannie Malone et ses 4 enfants, venue de Charleston et qui a survécu grâce à la pêche, aux épaves, à la culture d’ananas et de sisal et aux éponges. Côté océan, magnifique plage de sable rosé bordée de discrets hôtels de luxe.
– Marsh Harbor
4 miles sous solent pour rejoindre Marsh Harbor, capitale des Abaco et grand port naturel bien protégé. On mouille dans une grande baie au milieu de dizaines d’autres bateaux. Les berges sont couvertes de marinas. Le guide nautique fait une description dithyrambique des ressources de la ville, mais nous n’avons besoin de pas grand chose sinon d’un peu de légumes et fruits frais au supermarché très bien fourni. Le lendemain matin nous retrouvons Teiva, Outremer 45 croisé à Rock Sound, qui prépare sa transat retour. Déjeuner ensemble avant que nos routes se séparent.
Il fait vraiment mauvais et nous partons sous un crachin breton.
– Man-O-War
La légende veut que les fondateurs de la colonie soit un couple : Nelly Archer, jeune fille d’une famille de fermiers, se promenait sur la plage côté océan quand elle a entendu des appels à l’aide de naufragés dont le jeune Ben Albury, avec qui elle a ensuite fondé une famille. Ils ont créé une tradition de construction navale, et leurs chantiers existent toujours, tenus par leurs descendants. Comme les autres Cays, c’est un très bon abri naturel. Une passe très étroite et peu profonde donne accès à deux lagons, eux-même très étroits. Il y a peu de place pour mouiller, vu l’exiguïté des bassins, mais on est accueillis par un local, qui nous propose une bouée dans le lagon sud, moyennant 20$, apparemment prix unique dans les Cays. On a juste le temps de s’amarrer avant que ne s’abatte une averse particulièrement nourrie, qui va durer toute la soirée, nous interdisant d’aller à terre. Le lendemain, c’est dimanche et tout est fermé, mais le village fleuri est très pittoresque. La construction navale est effectivement très active, avec ses chantiers et ses fabriques de maquettes et de demi-coques.
– Great Guana Cay
Au portant sous 15 nœuds de vent, on enchaine les empannages pour faire un stop déjeuner en face de la belle plage de Baker’s Bay dans 1,5 m d’eau, juste à l’entrée d’une grande marina au milieu d’un resort récent.
– Green Turtle Cay
Après déjeuner et baignade, on continue nos empannages, sur une route qui zigzague entre les bancs de sable à côté de NoName Cay (et oui, ils n’ont pas trouvé de nom à toutes les îles!). Le chenal nous fait sortir du lagon pour quelques milles, jusqu’à Green Turtle Cay. Ici aussi l’île présente deux lagons intérieurs : au sud, Black Sound, petit et assez sauvage, au nord White Sound, plus grand. On entre dans Black Sound par une passe étroite et peu profonde, mais parfaitement balisée par des piles. A l’entrée, chantier et stockages de bateaux à sec ; plus loin petite marina et maisons en bordure d’eau. On prend une bouée au fond près de la mangrove et on part à terre visiter la ville de New Plymouth fondée par les Loyalistes émigrés en 1783. Mais à part le nom, la ville n’a pas grand chose de commun avec le Plymouth de Cornouaille anglaise ou de Nouvelle Angleterre! C’est un gros bourg au ras de l’eau, face à un lagon peu profond, avec quelques jolies maisons et un parc abritant les statues des fondateurs.
L’île parait moins prospère que Man-O-War ou Hope Town. En ce dimanche soir, tout est fermé, sauf un bistrot au bord de l’eau qu’on a repéré par la musique, bien décoré, plein de clients qui sirotent des cocktails. Il paraît que c’est dans cette île qu’a été inventé le Gombay Smash, cocktail bahamien réputé. L’ambiance est bonne, et on y reste pour déguster un délicieux mahi mahi mariné. C’est d’ailleurs notre dernière ville bahamienne, car les mouillages suivants sont sauvages.
Le lendemain matin on fait un petit tour en bateau dans l’autre abri naturel au nord, White Sound, en profitant de la marée haute pour embouquer l’étroit chenal spectaculaire mais là encore très bien balisé. D’ailleurs les balises servent à faire la publicité des hôtels à l’intérieur de la baie! Le vent est juste dans l’axe du lagon, qui paraît beaucoup moins bien protégé que le White Sound.
– Angelfish Point; à la pointe nord de Great Abaco
Soleil et nuages sous 20 à 24 nœuds de suet, on enchaîne les empannages entre la côte d’Abaco, les bancs de sable et les Cays – Manjack, Powell, Spanish – , jusqu’à la pointe nord de Great Abaco. Prolongée par une petite île, Crab Cay elle offre un bon abri, en face d’une petite plage de gravier bordée de cocotiers. La côte est totalement sauvage, en dehors d’une antenne Batelco. Le temps repart à l’orage le soir et toute la matinée du lendemain, avec de violents grains. A 13h, sous la pression du calendrier, nous nous décidons à repartir sous des trombes d’eau pour parcourir les 36 miles qui nous séparent de notre dernière escale.
– Great Sale Cay
Le choix de cette petite île est motivé par sa position géographique, sur la route de la Floride. Sa configuration permet un abri de part ou d’autre de l’île, en fonction de la direction du vent. Après être passé à côté d’un caillou appelé modestement Center of the Word, on arrive à la tombée de la nuit devant Great Sale Cay, le long d’une plage bordée de quelques arbres maigrichons, qui protègent un peu du vent. La mer est calme. Grand spectacle des orages sur la Floride et le Gulf Stream à l’horizon : un vrai feu d’artifice! On se couche en espérant qu’ils nous éviteront, ce qui sera le cas jusqu’à 4 heures du matin. Le ressac sur la plage nous réveille, le vent ayant tourné de 180°. Après vérification que le mouillage tient bien on se rendort d’une oreille jusqu’au réveil de 6h.
– Traversée du Little Bahama Bank puis du Gulf Stream jusqu’à West Palm Beach.
Cette traversée ne restera pas un de nos meilleurs souvenirs : partis à l’aube, au moteur, sous un ciel plombé, on a rapidement retrouvé du vent portant sur le Little Bahama Bank, du soleil et une mer turquoise.
Sortie par la spectaculaire passe de Memory Rock, où le sable défile à 10 nds sous 2,40 m d’eau, puis grains, et gros orage en arrivant près de West Palm Beach, qui nous dévie de la route et nous oblige à nous bagarrer contre le Gulf Stream, pourtant largement anticipé. La côte clignote de partout mais l’accès est très bien balisé. On va passer la nuit au mouillage dans le Lake Woerth, partie des Intracoastal Waterways, au nord de la marina de Riviera Beach City, au milieu de nombreux autres bateaux au corps-mort et au mouillage.
Un mot sur le temps pourri qui nous a accompagné depuis 3 semaines. Statistiquement, avril – mai est la meilleure période pour visiter les Bahamas, nous l’avions vérifié l’an passé. Les dépressions atlantiques s’éloignent vers le nord, limitant l’impact des violents fronts froids qui les accompagnent. L’eau n’est pas encore assez chaude pour générer des dépressions qui tuent l’alizé et peuvent dégénérer en tempête tropicale, voire en cyclone. Cette année, c’est bien une zone de basse pression qui stagne à l’ouest de la zone, qui s’accompagne de vents de sud très inhabituels et d’une grosse instabilté couvrant une immense zone, des Bahamas à la Floride tout entière. Fin mai à l’heure où on finit de rédiger ces lignes, la situation a peu évolué, avec même une dépression subtropicale précoce qui s’est creusée sur le Golfe du Mexique, avec des vents de 65 nds prévus. Jusqu’ici, au nord de l’entrée de la baie de New-York, l’impact s’en fait sentir, avec brouillard et temps instable…
Annexe : petit résumé historique.
Au terme de ces deux saisons aux Bahamas, on se rend compte qu’on a beaucoup parlé de géographie et pas beaucoup d’histoire. Il faut dire que l’histoire des Bahamas est moins complexe que celle des Caraïbes car ces îlots peu fertiles, balayés régulièrement par les cyclones n’ont pas suscité l’appétit des grandes îles des Antilles.
Et pourtant c’est bien sur une de ces îles, très probablement Guanahani rebaptisée San Salvador, que Christophe Colomb a débarqué le 12 Octobre 1492 à bord de la Santa Maria, en croyant découvrir les Indes. Puis il découvre les îles proches : Crooked Island, Fernandina, devenue Long Island et Isabela renommée Long Cay. Il est frappé par la faible profondeur des eaux et les appelle Las Islas de Baja Mar, transformé en Bahamas. A cette époque, les îles sont habitées par les Lucayans, arrivés par vagues successives au Xème siècle, et faisant partie des Arawaks qui peuplent les Caraïbes. Ce peuple primitif et pacifique, est évalué à 40000 habitants à l’arrivée des Espagnols. Mais ceux-ci ne s’intéressent pas aux Bahamas, car ils cherchent un continent. A défaut, ils trouvent à Hispaniola et Cuba des mines d’or et d’argent, et vont déporter massivement les Lucayans pour l’exploitation de ces mines. En 15 ans la population est quasiment entièrement déplacée, laissant peu de traces archéologiques en dehors de fragments de poteries.
Au XVII siècle, les Anglais vont s’approprier les Bahamas en association avec les nouvelles colonies d’Amérique. La première colonie est fondée à Eleuthera en 1647 par un groupe de 80 puritains, commandé par William Sayle, qui fuient les persécutions religieuses en Angleterre. Ils sont appelés Eleutheran Adventurers. Les conditions de vie sont effroyables et beaucoup périssent. Puis une nouvelle colonie s’implante à Nassau qui devient un repère de pirates avec la bénédiction des Anglais. En effet les galions espagnols lourdement chargés sur leur trajet de retour sont des proies faciles pour les pirates et corsaires établis dans les différentes îles : Barbe Noire à New Providence, Henry Morgan à Andros, George Walking à San Salvador, Anne Bonny à Cat Island…
A terre les habitants survivent également grâce au pillage des épaves.
La deuxième colonisation intervient au siècle suivant à partir de 1773 par vagues successives, lors de la guerre d’Indépendance, quand les Loyalistes fidèles à l’Angleterre fuient la révolution américaine. Ils amènent avec eux leurs esclaves et tentent de développer des cultures comme le coton à Long Island, l’ananas à Eleuthera, l’élevage de poulets à Eleuthera. La pauvreté des sols et l’abolition de l’esclavage font péricliter ces exploitations. Les habitants survivent par leurs maigres cultures vivrières et la pêche aux éponges, amenée par des colons grecs.
De 1787 à 1973 les Bahamas sont une colonie britannique.
Au XIXème siècle, les Bahamas vont profiter des conséquences de la guerre de Sécession en servant de plaque tournante pour l’exportation du coton entre les ports du sud des Etats Unis sous blocus nordiste et l’Angleterre.
Au XXème siècle, c’est la prohibition qui enrichit Nassau, approvisionnée par l’Angleterre en alcool, ensuite acheminé clandestinement aux Etats Unis par des bateaux rapides, les « Rum Runners ». Les îlots isolés sont achetés par des truands célèbres, équipés de pistes d’atterrissages, et sont le théâtre de trafics en tous genres et de courses-poursuites folkloriques avec les autorités britanniques.
Le développement touristique est amorcé dans les années 30, par les touristes américains et les nobles britanniques, attirés par les plages de sable fin, la richesse des eaux poissonneuses et la douceur de vivre. Ernest Hemingway s’installe à Bimini en 1931 et s’inspire de la vie des pêcheurs pour écrire « Le vieil homme et la mer ».
Depuis 1973, les Bahamas sont un état indépendant rattaché à la couronne britannique, représentée par un gouverneur général. Les dernières élections, en mai 2017, ont été remportées par le parti promettant une lutte anticorruption impitoyable (comme le précédent, sans doute …).
Sa principale ressource actuelle est le tourisme : hôtels de luxe, paquebots, pêche au gros et à la mouche pour le bonefish, locations de catamarans. C’est une clientèle américaine et canadienne principalement et, dans les hôtels, européenne, très concentrée dans quelques points d’accueil. Pour le reste, tout est importé des US, presque rien n’est produit localement.
Cécile
Question essentielle pour la navigation 😉 : y’a-t-il du bon rhum produit localement?
Et quels sont les cocktails dont vous parlez et qui nous sont complètement inconnus?
Spica
Hé non, pas de rhum aux Bahamas (pas de canne). Comme aux US, ils font ça avec du mauvais rhum, Bacardi ou Mount Gay (de Barbados). C’est assez déprimant de voir que les Antilles françaises n’ont jamais été capables d’exporter la moindre bouteille de re excellentes productions. Heureusement, il nous reste encire, de notre passage à la Martinique, une bonne collection de Depaz, Clément, Trois Rivières, … Mais le Bacardi est nickel pour tuer les gros poissons pris à la ligne.
Jean Louis Marchand
Toujours aussi riche à lire et varié
Merci de nous faire partager ces intéressantes découvertes
Profitez en bien
Amicalement
JL Marchand
Spica
Merci merci, trop gentil!