Makemo

Classé dans : Pacifique, Polynésie | 6

Novembre 2023

Makemo était le premier atoll des Tuamotu sur la route venant des Marquises. En 2019. Le vent très faible nous avait fait rater les deux marées favorables pour y entrer. La perspective de passer la nuit à la cape devant la passe avait eu raison de notre motivation et nous avions continué jusqu’à Tahanea.

Cette année, autre ambition contrariée par la météo, partir aux Gambier. Des conditions exécrables tout le mois de septembre, puis un vent soutenu pile dans le nez nous font renoncer. Un long bord nous conduit de Moorea à Tikehau (où nous avons sommes restés plusieurs jours pour compléter notre visite de 2021, cf http://spica.cool/wp-admin/post.php?post=14283&action=edit); puis Toau et enfin Fakarava. Makemo n’est plus qu’à une trentaine d’heures.

Makemo est un atoll important, le troisième par la taille après Rangiroa et Fakarava. Sa population, regroupée dans le village de Pouheva, est de plus de 800 personnes. Il a un gros collège d’où viennent les enfants des atolls voisins pour de longs trimestres d’éloignement de leur famille.

Sa situation au centre des Tuamotu le place à la croisée des chemins entre les Marquises, les Gambier et Tahiti. C’est presque un arrêt obligé entre ces archipels. Makemo est aussi réputé pour la densité de ses patates de corail dans le lagon. Même en ayant vu d’autres, il est vrai que c’est un champ de mines, notamment dans la partie est de l’atoll, et sur de très grandes distances. Il est quasiment impossible d’y naviguer avec une visibilité moyenne ou le soleil dans les yeux. On a eu des échos réguliers de bateaux ayant laissé leur ancre coincée au fond, ou leur chaîne enroulée sur une patate ou des bateaux partis à la côte après avoir dérapé, 2 le mois précédent notre passage.

Le 25 octobre, plus que 6 bateaux au mouillage d’Hirifa, au sud de Fakarava, dont le magnifique ketch espagnol Nirvana.

Nous sommes à contre temps : la saison de la migration vers les Fiji est finie depuis l’hiver austral, et la plupart des bateaux partis pour le festival des Marquises sont en route.

Dès le lever du soleil, on sort par la passe sud de Fakarava contre 3 nœuds de courant rentrant. Cette fois encore le vent est erratique, irrégulier en force et direction, avec un front orageux au sud et un ciel limpide au nord. Le combat entre les deux est indécis toute la nuit.

On arrive à la passe nord de Makemo le lendemain à 14h30, heure théorique de la basse mer. Pourtant le courant est sortant, de 4 nœuds.

Moteurs à fond, on se retrouve lentement dans le lagon. Pour s’abriter des vents dominants, on poursuit notre nav avec les précautions habituelles : soleil au zénith pour avoir la meilleure visibilité, un œil sur Google Earth, l’autre sur la cartographie, les deux autres à l’avant du bateau, en direction de la partie de l’atoll orientée nord – sud. L’installation récente de Starlink change la vie : plus besoin de pré-charger les images Google Earth sur le logiciel russe SAS Planet, on a accès à toutes les images imaginables en temps réel, à l’échelle voulue.

A l’arrivée, le drone est de sortie:

Vers le sud
Vers le nord

Entre les motu, les hoa, qui communiquent normalement avec l’océan, sont bouchés côté mer par des dunes de corail mort, et côté lagon par de curieuses lagunes.

Entre les hoa, derrière les motu, le sable est poussé par les courants, avec des langues de sable sans trop de patates.

On trouve ainsi un excellent mouillage sauvage en face du motu Makanua, dans 2 mètres d’eau, avec l’évitage si le vent tourne. Paysage typique des Tuamotu : plage de sable blanc, cocotiers, eau cristalline, tranquillité absolue.

La visite du motu nous fait découvrir que Makemo est un atoll surélevé avec une sorte de dune de corail mort, de couleur grise, dans lequel il est difficile de marcher.

Une maigre végétation tente de pousser côté lagon.

Côté océan, c’est un désastre. La plage est une décharge à ciel ouvert jonchée de détritus de plastique. Viennent-ils de terres distantes de milliers de kilomètres ou de la décharge de Makémo qui est au coeur d’un conflit territorial bien polynésien? Mystère et coup de gueule. C’est d’autant plus râlant que le polynésien est en général particulièrement soucieux de la propreté du fenua.

Balade sur la plage, baignades, lecture, musique, drone, la vie s’écoule tranquillement.

Après 4 jours de farniente, on migre à l’autre extrémité de l’atoll. Il nous faut 6 heures pour rallier l’angle sud-est, en face du motu Veveruga. La navigation à partir du village devient plus difficile.

Certains blocs de corail affleurent comme des pinacles verticaux de quelques mètres par une quarantaine de mètres de fond; qu’on longe parfois à une largeur de bateau, l’inattention serait fatale.

Au terme, c’est le bout du monde, d’une beauté exceptionnelle, place aux images!

Le lagon est protégé par une immense lagune.

Pas facile de trouver sur le rayon d’évitage du bateau une zone de sable à peu près saine. Il faut accepter d’avoir du corail à 2 mètres de profondeur pas loin des safrans. Sur la plage quelqu’un suit notre manœuvre et semble vouloir nous dire quelque chose. Michel part faire connaissance.

Marama habite le village de Pouheva. Il est venu avec sa famille pour 10 jours au “secteur”; comme on dit, pour récolter 1 tonne de coprah, principale source de revenu subventionnée aux Tuamotu. Leur conditions de vie sont très précaires; avec à peine de quoi dormir sous des tôles ondulées. Ils n’ont pas de quoi recharger leurs portables, les panneaux solaires se volant entre voisins! Plus de portable, plus de lien avec la famille et les amis, plus de météo… Alors Michel repart avec les téléphones de toute la famille. En échange cocos fraîches de bienvenue.

Le soir, pose de pièges à crabes de cocotiers, les fameux kaveus. Le lendemain, nous voyons arriver deux specimen de belle taille, accompagnés à nouveau de cocos fraîches, un sacré repas en perspective.

A leur départ, le bateau est lourdement chargé, et rendez-vous est pris pour le village, dans la bonne humeur. Le coprah va être apporté au magasin, qui regroupe les livraisons en vue du passage de la goélette le mardi suivant; direction l’huilerie de Tahiti.

Tout près de nous au mouillage, on est intrigué par un trimaran rouge à deux mats. C’est un couple de californiens qui ont coupé les ponts avec la vie terrestre et sillonnent le pacifique depuis 20 ans. Il est écrivain et a eu son heure de gloire avec des livres pour enfants. Elle a travaillé dans la haute technologie… Des gens cultivés, adorables avec qui on a passé deux soirées formidables…

Après 3 jours encore de vie sauvage, on retourne au village. Les conditions sont bonnes pour s’amarrer à quai et éviter ainsi les dangers et l’inconfort du mouillage. Les gendarmes nous accueillent en VHF et nous conseillent de nous mettre le long du retour du quai car la goélette ne vient que dans 3 jours. Situation idéale!

Après nous être amarrés, on voit arriver une nuée de gamins curieux, espérant visiter le bateau… On fait la connaissance de nos voisins de quai : le toubib belge sur son Amel venant combler pour quelques semaines ce désert médical ; sa voisine sud-africaine dans un Bavaria à couple, qui s’est précipitée pour nous aider ; et le troisième, français ronchon que notre venue semble déranger…

A terre, c’est un gros village qui occupe tout le motu depuis la passe jusqu’à un bras de mer côté intérieur.

On retrouve les bâtiments administratifs de cette capitale du centre Tuamotu. Le collège accueille les enfants des atolls voisins. L’église est sur le point d’être restaurée car le clocher menace de s’effondrer.

En attendant, la cloche a été démontée et installée dans l’arbre de la cour!

3 magasins, un snack et, paraît-il deux artistes qui ne sont pas là en ce moment. Un petit phare côté océan permet de repérer la passe de nuit.

Et un grand bâtiment surélevé sensé accueillir la population en cas de tsunami. Des maisons bien entretenues, d’autres en ruine, au milieu de terrains vagues.

Le long de la passe, les maisons ont été abandonnées car inondées régulièrement et des matériaux de toutes sortes ont été empilés pour essayer de protéger le village. Il est certain que ce village est particulièrement vulnérable à la montée des eaux, d’autant que le village a été en fait construit sur un petit motu, séparé du grand motu suivant par un vrai bras de mer, qui abrite un petit port.

Les habitants sont très gentils mais l’inaction est la règle, en dehors du coprah.

Nous repartons par la passe principale qui longe le village. Sa proximité du quai nous permet de bien voir le début du courant sortant, à une heure qui se révèle d’ailleurs à peu près proche des prévisions, et de partir dans les meilleures conditions possibles.

6 Responses

  1. Crepel Nicole

    Oh la la, quel merveilleux récit vous nous faites agrémenté maintenant par les photos du drone.
    J’ai sauté des étapes , je crois, et il faut que je les retrouve.
    C’est vraiment un paysage de rêve mais plein de dangers pour un bateau. Vous êtes devenus de sacrés marins aidés par toute la technologie possible.
    Merci beaucoup de nous faire partager ce coin du monde.
    Bises à tous les deux.

  2. jean-pierre ROUX LEVRAT

    Effet National Geographic . Magnifique . Donne immédiatement l’envie daller y faire un tour. Merci

  3. BODINIER DANIEL

    MERCI, de nous faire partager ces moments merveilleurs que vous vivez.
    A bientôt
    DANIEL ET MARIE-FRANCE

  4. Jimmy Cornell

    C’est toujours un grand plaisir de lire vos reportages et d’admirer vos magnifiques photos, surtout par une journée pluvieuse à Londres.
    Je vous souhaite une bonne continuation de votre grande aventure !
    Jimmy

  5. Jean Gabriel OLLIVIER

    Bravo pour votre article et vos photos …
    Un vrai régal .
    Bises à vous
    jeangab

  6. Anne et Philippe Barouch

    Bonjour les Amis, heureusement fait un peu de ménage dans mes mails et je découvre votre post qui etait passé à l’as !! Quel bonheur de vous lire et merci de ce partage qui ensoleille notre journée (même s’il fait toujours beau à Pornic! )
    A bientôt
    Anne et Philippe

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