Météo polynésienne

Classé dans : Pacifique, Polynésie | 3

Novembre 2024

“Qui trop écoute la météo perd ses forces au bistrot”. Certes, mais quand on se retrouve sous une pluie battante avec 30 noeuds de mara’amu dans le nez, mieux vaut faire le dos rond. Temps contraire pour revenir aux Tuamotu, c”est le moment de patienter avec un article sur cette fameuse météo, dans sa version polynésienne.

Ce n’est pas un précis de météo, nous en serions bien incapables, c’est plutôt une mise au clair de quelques situations vécues et de leur tentative d’explication. Interpellez-nous via les commentaires si nous sommes ça et là à côté de la plaque.

Nous ne parlerons que de la Polynésie française. Elle s’étend en gros de 7 degrés sud (Motu One aux Marquises) à 28 sud (Rapa, aux Australes) et de 154 degrés ouest (Maupihaa ou Mopelia) à 134 ouest (Gambier). On l’a déjà dit, c’est grand comme l’Europe, mais l’absence de continent limite quasiment les variations du temps aux interactions entre les grands champs de pression, avec des effets locaux se limitant au voisinage des îles élevées.

Au nord, les basses pressions tropicales relatives. Au sud, les hautes pressions australes, avec deux pics : l’anticyclone de Kermadec (du nom de l’archipel aux nord-est de la Nouvelle-Zélande) et celui de l’Ile de Pâques, prolongé par la fameuse dorsale pascuane des bulletins météo. A l’échelle macro, tout ça génère un alizé d’est, entre 15 et 25 noeuds. Il prend une orientation sud-est à l’ouest du territoire sous l’influence de la rotation autour de l’anticyclone de Kermadec, de nord-est à l’est du territoire sous l’influence de la dorsale pascuane. Car dans l’hémisphère sud, le vent tourne autour des anticyclones dans le sens inverse des aiguilles d’une montre, à l’opposé de l’hémisphère nord ce qui est très déroutant. Ces grandes masses oscillent gentiment plus ou moins nord, plus ou moins sud, au gré des saisons.

Deux grandes saisons se succèdent. L’hiver austral voit les dépressions du sud se rapprocher en juillet – août, avec des épisodes de mara’amu plus fréquents, plus violents et avec beaucoup de pluies. La période cyclonique débute fin novembre, avec un pic en mars – avril.

Voilà pour la base.

Dans le détail : tout ce bel équilibre est dérangé par deux facteurs principaux:

  • les puissantes dépressions circulant entre les quarantièmes et les soixantièmes sud, qui viennent jouer aux quilles avec les anticyclones. Conséquences : des fronts qui remontent vers le nord, avec leur lot de pluie et de vent ; derrière leur passage, une reconstitution des hautes pressions qui les poussent, créant un resserrement des isobares qui renforcent nettement l’alizé.
  • la zone de convergence intertropicale du Pacifique Sud, en anglais SPCZ. Cette zone est une espèce de pot au noir, qui oscille entre les Iles Salomon à l’ouest et la Polynésie. Elle concerne surtout les Cook et les Tonga (il faut s’en méfier quand on quitte la Polynésie), mais peut venir chatouiller Tahiti, voire au-delà. Au menu : plus d’alizé, un déluge, des orages et des coups de vent aléatoires.

Ce que nous avons croisé sur notre chemin:

  • des calmes

Et oui, ça arrive, et ça peut durer : une semaine à Moorea, 2 semaines aux Tuamotu. Une fois sur place, il fait beau, mais en général ça finit mal.

  • la zone de cisaillement

Quand on entre dans le détail, l’alizé n’est pas homogène : plutôt orienté nord-est vers l’est, plutôt sud-est à l’ouest, la transition entre les deux dépend de la stabilité de l’atmosphère. Si l’air est stable, on passe d’un régime à l’autre progressivement. Mais si le NE et le SE buttent l’un contre l’autre, il faut bien que l’air s’échappe quelque part, donc vers le haut. A régime modéré, c’est du calme plat au sol. Mais dès qu’une instabilité apparaît, ça se met à turbuler et tout peut arriver. Un de nos amis a quasiment perdu son bateau à Fakarava sur un coup d’ouest, 60 nds brutalement pendant une nuit. Nous avons eu une cinquantaine de nœuds de SE en mer au nord de Rangiroa après 2 jours sans un souffle, 10 nds annoncés par la météo. Sur les cartes météo, ce peut être une simple zone de calme avec les barbules de vent qui se rencontrent. Parfois, un front vient du sud, et les barbules de sud-est semblent “rouler” vers celles du nord.

Exemple de zone de cisaillement le 19/10/23

Dans tous les cas (surtout le second), méfiance, ces phénomènes sont très violents, d’autant pus dangereux que la météo ne les annonce pas, et la littérature en parle très peu. En mer si on a de l’eau à courir et qu’on peu réduire la toile instantanément (oui, c’est du vécu…) ça passe en général. Au mouillage c’est une autre histoire. La plupart des mouillages polynésiens, notamment aux Tuamotu, ne sont abrités que d’un côté, la taille des atolls supprimant tout abri dès que le vent tourne, et il y a un danger extrême à se retrouver avec une rotation qui pousse la chaîne vers une patate de corail. La SPCZ relève du même schéma à plus grande échelle, mais comme on ne l’a pas traversée, nous n’en parlerons pas.

  • le mara’amu

Là, c’est plus simple : en général il est bien annoncé, et sa direction est toujours la même (sud à sud-est). C’est inconfortable (froid et pluvieux), fort (jusqu’à 35 nds) et ça peut durer longtemps (comment un chantier français a-t-il pu donner ce nom à l’un de ses plus célèbres bateaux?). C’est généralement le résultat d’un front du sud qui a bousculé les hautes pressions, ou d’une compression des isobares par les hautes pressions qui se reconstituent derrière lui. Au passage petit rappel : le vent autour des dépressions tourne à l’inverse de l’hémisphère nord (comme l’eau dans le lavabo). En Bretagne, c’est sud-ouest, puis ouest et nord-ouest, ici c’est l’inverse.

  • les coups d’ouest

Là encore ils sont bien annoncés, mais souvent sous-estimés en force (nous avons eu jusqu”à 45 nds sous l’un d’eux, pour une trentaine annoncés). Comme ils sont provoqués par le passage d’une dépression du sud, ils passent vite, avec une arrivée au nord-ouest, un renforcement rapide et une rotation ouest, sud et retour au sud-est. Petit inconvénient : les abris par vent de ce secteur sont rares, notamment aux Tuamotu.

  • la visibilité

Un autres danger dont il faut se méfier : la pluie qui accompagne une perturbation provoque une baisse spectaculaire de la visibilité. Aux Iles Sous le Vent, ça va. Aux Tuamotu, c’est la roulette russe, qui invite à rester au large : situation à risque au mouillage, quand la pluie accompagne la rotation du vent et rend le mouillage intenable et la navigation sans visibilité impossible.

  • les courants.

Bien que ça ne relève pas de la prévision météo, ce paramètre a tant d’importance que ça vaut le coup d’en parler.

… dans les passes:

Les atolls se remplissent par les hoas (petits canaux entre les motu) et se vident par les passes, en général une à deux par atoll. Dans les passes, en théorie, le courant est entrant au montant de la marée, l’inverse au descendant, vitesse maxi 4 à plus de 10 nds.

En pratique, si l’atoll est bien plein à la suite d’une période de houle, le courant sortant l’emporte largement : nous sommes rentrés la première fois à Tikehau avec 2 nds sortants, à la mi-marée montante! Encore faut-il connaître l’heure des marées. Il traine sur le web un tableur excel qui calcule les heures d’étale en modélisant l’onde de marée comme une sinusoïde qui se propage d’est en ouest (“Guestimator”). Curieusement (car la modélisation est vraiment grossière), ce n’est pas si faux. Le SHOM français fournit les heures de marée à Fakarava, c’est une référence solide.

En pratique, une fois qu’on est sur place, observation + compensation d’un jour et d’un atoll sur le suivant permet de bien se recaler. Pour le reste, on applique les grands classiques : jamais de sortant contre le vent, attention au sortant contre la houle, bien observer les zones de courant, il y a souvent une zone plus calme d’un côté à l’autre de la passe. C’est très, très risqué de se trouver au mauvais endroit au mauvais moment. Certains des pires endroits que nous avons fréquentés, ou vu fréquenter par des témoins directs : Katiu et ses 8 nds, Toao et son torrent jusqu’à plusieurs milles au large, la passe Tiputa de Rangiroa, la passe de Maupiti (la règle “vent de moins de 15 nds, houle de moins de 1,5 m” s’y révèle absolument impérative, quelles que soient les bonnes raisons de tenter).

… au large:

Un courant général porte à l’ouest, de force et de direction précise très variable (mais qui peut atteindre plus de 2 nds), qui ralentit la progression au près des Iles sous le Vent vers les Tuamotu et les Marquises. Nous avons rencontré des accélérations locales aux Marquises (canal du Bordelais, et entre les iles), entre certains atolls des Tuamotu (par exemple entre l’alignement Toau – Apataki – Rangiroa – Tikehau au nord, Kaukura au sud), près de Huahine. Huahine mérite une mention spéciale : un fort courant porte sur les 2 pointes du sud – ouest, où de nombreux bateaux se sont perdus. Et nous-mêmes n’en sommes pas passés loin… Je cite Dominique Goché de Raiatea Carenage, venu récupérer un Outremer 55 sur le reef de Kaukura : “en Polynésie, jamais moins de 2 ou 3 milles d’un récif, en particulier aux Tuamotu”. Venant de quelqu’un qui a sauvé plus de 150 bateaux, le conseil mérite attention. Au passage, par bonne visibilité, on commence à voir des cocotiers à 9 milles, un reef sans végétation à 1 ou 2 milles (et les parties sud des atolls n’ont pas de végétation…).

  • la houle

Il est rare de naviguer sans houle en Polynésie. Généralement issue des trains de dépressions australes, elle est principalement de secteur SW à SE, rarement moins de 1,5 à 2 m. Quand une dépression se rapproche, il n’est pas rare qu’elle atteigne partout 3 à 4 m, voire plus sur les iles du sud, comme aux Gambier. La forte houle remplit les atolls et provoque une élévation temporaire du niveau dans les lagons, avec un fort fort courant sortant dans les passes (à Avea, Huahine, par houle de S de plus de 4 m accompagnée d’un fort mara’amu, nous avons vu le niveau monter d’une cinquantaire de cm en très peu de temps, obligeant l’hôtel près du mouillage à démonter l’accès à son ponton!).. Les passes exposées à la houle, comme celle de Maupiti, deviennent très vite impraticables. En mer, la houle est en général croisée à la mer du vent, avec des mers confuses et inconfortables. Heureusement, la houle est parfaitement prévue par les prévisions météo (voir plus vas le § sur les apps).

  • l’impact du climat

La mer de Corail et le Pacifique sud sont le lieu de naissance d’El NIño (résultant d’un réchauffement des eaux superficielles) et son pendant froid La Niña. Schématiquement, El Niño accentue le risque cyclonique sur la Polynésie, et la Niña sur l’ouest, mer de Corail et nord de la Nouvelle-Zélande. Tout ça est parfaitement documenté, notamment sur le site de la NOAA, et plus localement sur metbob.com (voir plus bas).

Les sources météo

  • Météo France

La filiale locale de Météo France diffuse deux fois par jour (5 h et 15 h) un bulletin marine plutôt sommaire (www.meteo.pf, et en phonie sur le canal 13). On y trouve une prévision de base, mais peu d’analyse de la situation globale, pas de prévision au-delà de 24h, une carte des fronts à peu près illisible. Et surtout une fiabilité incertaine due au faible nombre d’observations atmosphériques liée à la faible fréquentation de la zone. Par contre, Météo France diffuse sur abonnement une version locale de son modèle très haute résolution AROME; pour une zone allant des Iles sous Le Vent au centre Tuamotu (disponible notamment sur Weather 4D). Nous l’avons rarement pris en défaut, mais l’échéance n’est que de 24h.

  • les app sur smartphone
  • le néo-zélandais PredictWind s’impose par son ergonomie, sa flexibilité, ses 6 modèles météo disponibles, son excellent module de routage ainsi que son SAV.
  • Weather 4D déjà cité est sûrement un bon outil, mais nous préférons nous limiter à une seule app, sauf pour récupérer AROME.
  • localement, les polynésiens utilisent beaucoup Windy. C’est une bonne application, d’une ergonomie impressionnante, très pratique pour avoir quasi instantanément une prévision locale. Nous l’utilisons surtout pour son module d’affichage de la houle extrêmement fiable et facile à lire.
  • un prévisionniste

Bob Mc Davitt, ancien prévisionniste de la météo NZ, s’est mis à son compte en tant que routeur. Son site metbob.com est une mine de renseignements sur la météo du Pacifique, incluant des analyses hebdomadaires.

Pour conclure, pas de panique : je termine ce post au mouillage dans le sud de Raiatea, 15 nds de vent stable, sur 2 m d’eau plate turquoise, quelques petits cumulus de beau temps depuis plusieurs jours, ce qui arrive quand même de temps en temps!

3 Responses

  1. JP Roux-Levrat

    Merci de nous rappeler que Coriolis fait son maximum pour compliquer la vie des navigateurs ( il n’est pas le seul ). En tous les cas article très intéressant sur la mto polynésienne.
    Bon vent

  2. lobert philippe

    Cet article me remet en tête la passe de Maupiti où malgré les conditions parfaites, l’entrée avec ses 2 alignements était déjà impressionnante.
    Mais une fois dans la place quel bonheur !

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