Moorea

Classé dans : Pacifique, Polynésie | 7

Déjà trois visites à Moorea, qui nous laissent perplexes. La première sur Spica en Octobre 2022. La deuxième à terre, pour passer du temps à visiter l’intérieur du pays. La troisième à nouveau sur Spica fin mai 2023. Nos sentiments sont contradictoires, entre la beauté de l’île, l’étalage de fric, les hôtels fermés ou même détruits, des mouillages sublimes mais de plus en plus restreints avec de grandes difficultés pour aller à terre, un rejet des voiliers accusés de tous les maux par les locaux qui accueillent pourtant au même endroit des paquebots de 5500 passagers, l’afflux des riches habitants de Papeete qui n’en peuvent plus des embouteillages et mettent moins de temps à vivre ici et aller travailler en ferry, entraînant une spéculation immobilière explosive, partout le défilé des jetskis et des pirogues des prestataires qui rasent les mouillages au mépris des règles les plus élémentaires de sécurité, pas refroidis par la mort récente d’un jeune anglais qui se baignait près de son bateau, d’excellents restaurants au bord de l’eau où perdure l’accueil polynésien. Bref on y rencontre le meilleur et le pire.

Octobre 2022 

En cette fin de printemps (austral) 2022, direction les Tuamotu.

La météo étant tout sauf stable, on décide d’une première étape à Moorea. Partis de Huahine par petit temps, on savoure le plaisir d’être en mer avec une superbe nuit étoilée, la constellation d’Orion et Sirius au dessus du mat. Au lever du soleil, on aperçoit le relief déchiqueté de Moorea derrière les nuages.

Puis on distingue les deux profondes baies qui entaillent la côte nord, Opunohu et Cook, séparées par le mont Rotui ; au fond les pics spectaculaires qui bordent le cirque du volcan effondré.

On se dirige vers la baie d’Opunohu (qui veut dire en tahitien “ventre de poisson pierre” (cf note 1 en fin d’article). C’est là que le Capitaine James Cook jeta l’ancre lors de son 3ème voyage dans le Pacifique le 30 septembre 1777. Aujourd’hui ce ne sont pas ses deux bateaux, le Resolution et le Discovery, mais un énorme paquebot de 348 mètres de long en plein milieu de la passe. Plutôt que le fond de la baie, on s’installe sur un banc de sable, à l’entrée côté nord, où sont déjà mouillés un vingtaine de bateaux, au pied du mont Rotui.

On trouve une petite place tout au bout, à l’endroit où les fonds remontent. En ce samedi, l’agitation est insensée : jet-skis et speed-boats de prestataires rasent les bateaux en pleine zone de mouillage, semblant oublier la mort d’un jeune anglais, ici il y a un an, percuté par une embarcation. On en est réduits à se baigner sous le bateau.

Dans l’après-midi, on part visiter la baie avec Spikette : les berges sont escarpées, sauvages et peu construites. Au fond, se détachent sur le ciel les pics volcaniques dont les sommets jouent à cache-cache avec les nuages.

Mais dès que le soleil disparaît, c’est un peu sinistre. De retour au bateau, on discute avec notre voisin (riverain propriétaire d’un bateau au mouillage) en admirant un superbe coucher de soleil. Il nous confirme l’hostilité des riverains envers les voiliers de passage et le risque à laisser l’annexe à terre toute une journée. On décide alors de profiter du lagon et des bords de mer et d’organiser plus tard un séjour à terre pour visiter l’intérieur.

Juste en face du bateau on a une superbe plage publique de sable fin en bordure d’une cocoteraie. En ce dimanche les familles viennent passer la journée, pique-niquer et jouer sur la plage.

De l’autre côté de la baie, le lagon continue mais devient vite non navigable et seuls les annexes et bateaux à fond plat peuvent l’emprunter en zigzaguant entre les patates de corail. Au passage, visite du village de Papetoai, avec sa curieuse église octogonale, huit comme les tentacules de la pieuvre polynésienne.

Deux beaux motus sont séparés par un jardin de corail magnifique en snorkeling. Désormais, le mouillage est interdit dans toute cette zone, qui fut l’un des grands spots de Moorea. Sur le motu de l’est, Tiahura, le Coco Beach, institution de Moorea, poissons grillés devant le canal qui sépare de l’île principale.

A terre on passe devant les ruines du Club Med, le premier de Polynésie, construit dans un site exceptionnel et fermé il y a une cinquantaine d’années à cause d’une augmentation de loyer décidée par les propriétaires. Un peu plus loin, on déjeune sur la terrasse du restaurant de l’hôtel Hibiscus. Mais le retour se fait sous une pluie battante pendant une heure!

Au fond de la baie d’Opunohu on est intrigués par un très beau bâtiment ; c’est en fait un écomusée sur les coraux, Te Fare Natura, architecte Jacques Rougerie.

Par chance, nous sommes accueillis par son directeur Olivier Pote, qui donne beaucoup de sens à la présentation des aquariums, un peu abscons sans cela. Il nous donne envie d’approfondir le sujet par des conférences disponibles en ligne (sur Youtube). Par contre la marche à pied le long de la route, encore une fois sous la pluie, ne nous laissera pas un très bon souvenir, d’autant que le lobby local des taxis a obtenu de fait l’interdiction du stop…

Changement de baie : on sort par la passe de Tareu pour quelques miles à l’extérieur du lagon et on rentre par la passe Avaroa, qui donne accès à la baie de Cook. Bien que la disposition soit similaire à celle d’Opunohu, beaucoup de bateaux sont mouillés au fond de la baie et seulement un seul dans le petit lagon à gauche, qui partira à notre arrivée.

La baie est plus ouverte que celle d’à côté et plus construite. Les pentes des montagnes sont plus douces, certaines plantées d’ananas, la culture emblématique de Moorea.

Belle vue sur le sommet troué (tout en haut) du mont Mou’a Puta. Résultat des exactions du dieu voleur Hiro, sa légende vaut elle aussi le détour (note 2 en bas de l’article).

Au fond de la baie, on remarque une splendeur, le magnifique plan Fife de 1936 “Latifa”, en parfait état, et “l’Arctic”, remorqueur de haute mer reconverti en motor-yacht, deux façons un peu extrêmes de parcourir les océans.

Nous voici donc tout seuls dans un mouillage de rêve, juste en face d’un restaurant un peu bling bling, le Moorea Beach Cafe (MBC) aux couleurs du champagne Veuve Clicquot! Après le déjeuner, leur ponton est resté ouvert de manière très sympathique, donnant accès au petit centre commercial voisin. A terre le village de Maharepa offre toutes les commodités et regroupe quelques jolies boutiques pour touristes.

Deux explications à ce manque de fréquentation du mouillage : une franche hostilité des riverains envers les voileux (nous en ferons l’amère expérience) et l’absence d’accès public au rivage qui en résulte. Tout ça sur fond d’un imbroglio juridique : le PGEM, réglementation du domaine maritime voté récemment par le Pays interdisait de fait le mouillage à Moorea. Lors de notre passage, il venait d’être cassé par la justice (pour des motifs autres que les mouillages, mais révélateurs de tensions importantes entre les habitants de Moorea), porte ouverte à toutes les interprétations.

Troisième et dernier mouillage “autorisé” : de l’autre côté de l’île, dans la baie de Vaiare. Après avoir contourné le coin nord-est de Moorea à l’extérieur du lagon, face à un alizé bien soutenu, on voit apparaître l’île de Tahiti Nui avec ses sommets cachés par les nuages. On emprunte la passe Vaiare, large et bien balisée car c’est là qu’accostent les ferrys qui font la noria en permanence avec Papeete. A l’entrée à gauche, une petite marina un peu déglinguée (dont la rénovation-extension est bloquée par les riverains…). Au fond à droite, les quais de débarquement. Pas de possibilité de mouillage dans la baie elle-même, mais deux petits fonds de lagon de part et d’autre. On choisit celui du nord qui a l’air mieux protégé et sans bateau. Le spot est magnifique et on mouille à la limite du chenal profond, d’un bleu sombre, et d’un banc de sable, bleu turquoise virant sur le jaune, face à Tahiti.

Deux jours de farniente, entre la visite en annexe de la baie, du snorkeling sur les patates de corail à côté, la proximité du bar du Sofitel pour manger un morceau le midi les pieds sur le sable et la magnifique plage publique Temae sous les cocotiers.

Mais la météo nous chasse, avec une menace de coup de vent durable de nord-ouest, signifiant l’abandon de notre projet de retour aux Tuamotu. Excellente occasion de visiter le lagon sud de Tahiti, en général à l’écart des routes de voiliers de passage.

Décembre 2022

Après avoir laissé Spica aux bons soins du chantier CNI à Raiatea, nous revoilà à Moorea un mois après, dans un bungalow sur la plage, prêts à en découdre avec les montagnes de Moorea. On est un peu frustrés de rando, à cause de la météo pourrie des derniers mois et du nombre limité de sentiers balisés accessibles sans guide aux Iles sous-le-Vent.

Tout le centre de l’île correspond au cratère effondré du gigantesque volcan initial. Il est entouré de pics pointus ou de sommets massifs qui culminent à plus de 1200 mètres.

En bas, on peut laisser la voiture sur plusieurs parkings et un panneau détaille les randonnées accessibles. La route monte jusqu’à un belvédère qui domine les deux baies séparées par le mont Rotui.

La terre de l’intérieur du cirque est très fertile et les vallées qui remontent des baies d’Opunohu et de Cook étaient très peuplées dans la période pré-européenne. De très nombreux vestiges archéologiques ont été dégagés et très bien documentés, tout au long du chemin des Ancêtres.

Les chemins partent d’en bas ou du belvédère.

C’est ce terrain de jeu qui va nous motiver pendant notre séjour : chemin des Ancêtres, col des Cocotiers ou col des 3 Pinus. Les chemins serpentent à l’ombre d’une forêt de mape, châtaigniers tropicaux, de pins et d’autres arbres tropicaux. La vue des sommets vaut la suée, notamment celle du col des 3 Pinus, où une balançoire a été installée.

De gigantesques champs d’ananas sont plantés sur les flancs des montagnes du côté de la baie de Cook. Car l’ananas est la culture emblématique de Moorea.

L’usine Rotui a été créée pour en exploiter le jus. En la visitant, on apprend qu’elle manque totalement de matière première pour faire face à la demande (et à son dimensionnement…), et que la majorité de ses fruits sont importés.

Entre Papetoai et la baie d’Oponohu, une affiche attire notre attention. La Montagne Magique a été aménagée par le père des propriétaires actuels. Jolie montée à l’ombre (malheureusement empruntée aussi par les quads pétaradants des prestataires, version terrestre des jet-skis transportant les mêmes passagers ventripotents), et en haut, vue panoramique sur l’entrée de la baie d’Oponohu, du village de Papetoai au mont Rotui.

Mai 2023

Retour aux affaires pour Spica. A peine remis à l’eau, un énorme front orageux nous surprend à notre mouillage favori du motu Oatara, à Raiatea. Près de 50 noeuds sous les éclairs et une pluie battante, le tout de nuit bien sûr, ce n’est pas rien.

Notre ancre Spade et tout le mouillage ont bien voulu résister vaillamment, et ce mouillage superbe s’est révélé d’une tenue irréprochable et relativement bien protégé par ce vent d’est.

Par cette météo déglinguée, le coup de vent est naturellement suivi d’une quinzaine de jours de calme plat, passés à Huahine. Il fallait saisir une subite fenêtre de vent de SW (totalement atypique) pour nous propulser en quelques heures jusqu’à Moorea où nous arrivons sous la lumière dorée du soleil levant.

Nous mouillons à nouveau sur le banc de sable à l’entrée est de la baie de Cook, où nous resterons plusieurs jours en attente du bon vouloir des alizés pour rejoindre les Tuamotu. La présence de plusieurs bateaux nous contraint à mouiller côté baie de Cook, mais ce n’est pas plus mal, un peu à l’écart de la fréquentation du chenal et avec une vue époustouflante sur les murailles qui entourent la baie.

Nous sommes à équidistance de deux bons restaurants, le Moorea Beach Café à l’est, un peu bling bling, et surtout le Cook’s qui vient d’ouvrir à l’entrée de la baie, excellente adresse, mélange de cuisine polynésienne et japonaise. Tant qu’on est dans les adresses : une batterie moteur nous lâche au moment de partir, nous privant d’une fenêtre météo parfaite. Mais, exactement en face du mouillage, Friedman, loueur de vélo vend aussi des batteries..

Fenêtre météo ratée, mais réparation express malgré tout!, et plein de temps pour profiter du paradis.

  • Oponohu ou la légende des poissons-pierre

La légende (quelque peu xénophobe) veut que les hommes, ayant appris que Moorea était le paradis sur terre, sont venus s’y installer, guidés par l’homme-tortue. Ils ont apporté de nouvelles façons de vivre, entraînant bouleversement, disputes puis guerres. La pieuvre fondatrice, pensant qu’elle ne servait plus à rien, sortit de sa source en direction de la baie la plus proche, qu’elle noya de son encre pour en interdire l’accès. Ensuite, elle appela à la rescousse les poissons-pierre (rappel : espèce très venimeuse), pour garder la baie, d’où son nom (Opo = ventre, Nohu = poisson-pierre).

Source : affichage près de l’église octogonale de Papetoai, entrée baie d’Oponohu

  • La montagne percée de Moorea

Le dieu Hiro et sa bande de voleurs ont décidé de voler le mont Rotui et de le transporter chez eux, à Raiatea. Les autres dieux, un peu agacés des exactions permanentes d’Hiro, ont recruté un géant, Pai, pour sauver le mont Rotui. Pai, s’est posté sur la pointe de Tata’a, à Tahiti, juste en face. Un seul coup de lance bien ajusté a suffi pour traverser la mer et chasser Hiro. Dégât collatéral, la lance s’est plantée dans la montagne, en emportant un bout jusqu’à Raiatea (où la légende se poursuit). D’où le trou du mont Mou’a Puta, qui rappelle qu’on ne rigole pas avec les trésors locaux.

Source : affichage sur la pointe Tata’a

7 Responses

  1. Philippe Barouch

    Coucou les amis !
    Incroyable cette animosité envers les voiliers par un peuple qui nous a ébloui de leur bienveillance (nous étions terriens)
    Excellent article comme toujours
    À bientôt
    Philippe

    • Spica

      Merci Philippe. Pour l’accueil, il ne faut surtout pas généraliser. Moorea est un cas très particulier, la totalité des Marquises, des Tuamotu, une bonne partie des Îles sous le Vent sont restées toujours aussi accueillantes. Il ne faut pas non plus sous-estimer le rôle des Affaires Maritimes (donc de la France…) qui se sont mises en tête de chasser les voileux, jusqu’à l’absurde (comme sur les bancs de sable de Raiatea en face d’Uturoa). Pendant ce temps, les Fidji investissent massivement dans des infrastructures splendides, avec les services qui vont bien, comme la marina de Nawi, qui a ouvert cette semaine. L’absence d’infrastructures est l’une des causes du problème ici…

      • Bouyssou

        Coucou les amis.
        Magnifique Blog qui fait bien rêver.
        Non, ici pas de dégâts trop importants sur le Bassin, sauf une centaine de bateaux arrachés à leur corps-morts et entassés au fond du Bassin du côté d’Andernos ! Et les pins par terre bien sûr.
        J’ai bien aimé la photo de l’anemometre bloqué sur 50 nœuds ! . Bravo pour cette magnifique odyssée.
        Françoise et Antoine

  2. Claire Guihard

    Comme toujours très belles photos et texte fort intéressant et instructif, quoi de mieux pour s’évader, Merci.
    Amitiés

  3. Didier

    Toujours super intéressant de suivre vos expériences, amitiés

  4. jean-pierre ROUX LEVRAT

    Aussi belle et “encombrée ” que Bora Bora . Dommage ! Heureusement il y a encore de nombreuses iles abordables . Amicalement profitez en bien et bon vent pour la suite !

  5. Lobert

    Ces reportages avec des lieux que nous avons eu le plaisir de partager sont un super moyen de faire remonter des souvenirs d’excellents moments.
    L’épisode du coup de vent à motu Oatara est impressionnant. Je me rappelle très bien ce mouillage magnifique.
    Bonne continuation vers les Tuamotu et de nouvelles aventures.

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