A l’arrivée de l’avion, tout le monde a son collier de fleurs.
Pour nous, c’est Soraya qui officie. Elle nous dépose à sa pension, Vaitumu Village, située sur la côte ouest, où elle travaille. La pension ressemble plutôt à un bel hôtel au bord de l’eau, avec son grand fare abritant la salle de restaurant et le bar, ses terrasses sur plusieurs niveaux, ses bungalows et sa piscine, le tout dans un jardin fleuri.
Soraya tient de sa mère toutes les légendes et l’histoire de l’île. Sans attendre, elle nous propose un survol rapide de l’île en pick-up.
Elle nous fait partager la passion de son île sous tous ses aspects : géographique, botanique, culturel, économique, en nous indiquant au passage les visites à faire les jours suivants. L’île n’est pas très grande (10 sur 5 kms) mais elle concentre beaucoup de centre d’intérêt : grottes, plages, villages, artisanat et surtout randonnées pédestres.
On est d’emblée frappé par l’absence de lagon, l’île étant entourée d’un récif frangeant. Elle est bordée de hautes falaises déchiquetées creusées de grottes suspendues.
Entre les falaises, de grandes plages de sable fin et deux grandes baies. Cet aspect très particulier est lié à sa géologie : comme Makatea dans les Tuamotu, Rurutu est un atoll surélevé, c’est à dire un ancien récif corallien surélevé à la suite d’un soulèvement du plancher océanique ou d’un point chaud. Au centre de l’île, de grandes plaines et plateaux fertiles correspondent à l’ancien lagon. L’île est dominée par quatre pics volcaniques, culminant modestement vers 400 mètres.
La population est d’environ 2500 habitants répartis dans trois villages, dont le principal, Moerai sur la côte est, Avera sur la côte ouest et Auti au sud.
Grâce à son climat subtropical, la qualité de sa terre et de nombreuses rivières, l’île produit une grande diversité de fruits et légumes et abrite une flore remarquable, comme ces fleurs d’hibiscus sauvages géantes.
Mais la culture principale est celle du taro, culture vivrière, ancrée dans les traditions.
La deuxième richesse de l’île, c’est l’artisanat du tressage de feuilles de pandanus, principalement à Auti
Depuis quelques années, des prestataires se sont organisés pour l’observation des baleines, qui se rapprochent des côtes pour leur reproduction, d’août à octobre.
La grotte Mitterrand (alias Ana A’eo)
En cette fin d’après-midi, nous partons à pied, accompagnés du chien de la pension, Mato, respecté par tous ses congénères errants du bord de la route, jusqu’à la grotte Ana A’eo, « qui fait peur ». Elle est désormais surnommée « grotte Mitterrand » depuis la visite improbable du chef de l’Etat en 1990, à l’occasion d’un Forum du Pacifique, visite dûment documentée sur le site de l’Elysée, notre bureaucratie est décidemment incollable !
L’entrée est impressionnante, comme une gueule ouverte émergeant d’une végétation luxuriante, hérissée de stalactites et de stalagmites. La voute est percée de trous laissant passer les rayons du soleil.
La légende raconte que c’était le temple des Ati a’iri, peuple venant de Tahiti, dont les dieux étaient mangeurs d’hommes, et que des massacres auraient été commis dans la grotte, dûment mis en scène lors de la visite mitterrandienne. Avec la lumière qui décline, on ne s’attarde pas.
Le mont Manureva
Le lendemain, on se fait déposer à Moerai, de l’autre côté de l’île. Une route traversière mène au chemin qui grimpe dans une forêt de pinus, jusqu’au sommet du Mont Manureva (« l’oiseau qui s’envole », 389 m), avec une vue circulaire sur l’île, notamment vers l’ouest sur la baie d’Avera. Nous sommes juste sous la base de la couche nuageuse.
Puis il emprunte une crête très étroite, voire scabreuse, avec des à-pics vertigineux de chaque côté (d’ailleurs une randonneuse a dévissé et s’est tuée il y a un mois de la mise en ligne de cet article).
Le sentier passe par les 2 autres sommets, Ta’ati’oe et Te’ape, avec une vue sur la façade nord, par laquelle nous redescendrons.
On traverse ensuite le plateau cultivé de Tetuanui, une merveille au fond duquel serpente une petite rivière bordée de bambous géants, de fleurs sauvages, d’une vanilleraie abandonnée, de bananiers…
…et même des kapokiers.
Dispositif très ingénieux, une scierie mobile est installée dans une clairière.
Une cabane un peu déglinguée, suspendue dans un arbre au dessus du vide, est idéalement placée pour le casse-croûte en surplomb d’une vallée verdoyante.
On rejoint la pension à travers des champs de taros, par un mauvais chemin très pentu… Récupération le soir au bord de la piscine en admirant un coucher de soleil flamboyant.
Tous à vélo!
Une bonne distance, mais pas trop, de sérieuses côtes : les scooters sont parfaitement adaptés pour faire le tour de l’île. La journée commence mal : les scooters réservés sont en panne, pas de voiture à louer disponible, le loueur de vélos électriques est parti en voyage de noces depuis un mois… bref il reste des vélos, heureusement d’excellents VTT. On s’est promis qu’on ne ferait pas le tour de l’île, mais, après avoir grimpé à pied la côte raide de 250 mètres, on pense avoir fait le plus dur et on continue, c’est parti pour 36 km….
Stop à Moerai, la capitale. Un cargo est en train de décharger des marchandises par barges interposées : le port a été conçu trop petit pour le tonnage actuel des bateaux.
Moerai abrite un temple protestant imposant, qui date de 1872.
En dehors des bâtiments publics et de la supérette, nous repérons un snack réputé où toute l’île vient déjeuner.
A l’entrée du village, un four à chaux de corail ancien est toujours en service, la chaux servant pour l’enduit des façades des maisons. On discute avec les employés du centre agricole municipal qui fournit les plantations aux cultivateurs. Même si tout pousse à Rurutu, le problème réside dans les débouchés commerciaux : par exemple, une récolte entière de pommes de terre a pourri, car Tahiti a préféré des pommes de terre d’importation des Etats Unis, du fait d’accords commerciaux. Problème différent pour le café mais même résultat. La route sinueuse longe tantôt de belles plages bordées d’aitos, tantôt des falaises creusées de grottes. On passe à côté de la grotte Gueule du loup, célèbre pour son accès au-dessus du vide à flanc de falaise, qui nous dissuade de tenter l’expérience. On s’arrête au fare artisanal d’Auti où on confectionne des chapeaux, sacs, objets de décoration et on ramène plusieurs sacs, qu’on a du mal à choisir.
Stop à la plage des amoureux en forme de cœur au milieu du corail, dans un paysage qui nous rappelle Lifou, en Nouvelle-Calédonie.
Dernier arrêt sur la jetée d’Avera, à laquelle on accède par une passe étroite et très exposée à la houle.
Des courses de chevaux sont organisées tous les ans sur l’immense plage.
On arrive épuisés à la pension, mais contents d’avoir bouclé nos 36 kms et avoir grimpé les côtes raides sans assistance.
Le lendemain, randonnée du mont Pito.
On avait dit : tranquille aujourd’hui, mais on a marché quand même 16 kms avec un dénivelé positif de 500 mètres.
Le parcours suit les chemins forestiers empruntés par les agriculteurs.
Le chemin commence au sud entre les plants de caféiers.
De là, il suit une crête jusqu’au mont Erai, passe par le mont Pito (qui veut dire nombril), avec de belles vues de part et d’autre.
De là, on redescend sur Moerai pour déjeuner dans le très bon snack qu’on avait repéré. On revient à la pension par les hauteurs à travers les tarodières, le plateau fertile de Tetauani et la belle forêt de pinus.
Le lendemain, jour du départ, une fois enregistrés, on partà pied visiter la grotte aux coquillages, juste en face de la salle d’embarquement. C’est une grotte à deux étages dont les parois sont recouvertes de coquillages fossilisés impactés dans le corail.
On ne peut pas quitter Rurutu sans évoquer le dieu A,a
La statuette du dieu A’a
Très peu d’objets de la période pré-européenne ont survécu à l’évangélisation des peuples polynésiens par les missionnaires. Et le plus emblématique provient de Rurutu : c’est la statuette du dieu A’a, une des œuvres exceptionnelles de l’histoire du Fenua,
C’est une très belle statuette en bois de santal qui mesure 117 cm de hauteur, très finement sculptée. Elle représente un homme, hérissé d’une trentaine de petites figurines en relief, en particulier sur la tête à la place des traits du visage. Son dos est creusé d’une cavité qui abritait de petites statuettes, des petits tikis selon la description d’un missionnaire, qui ont disparu. D’après la datation au C14, sa fabrication remonterait au XVIIème siècle.
On sait peu de choses de ce dieu, qui n’est pas présent dans les autres îles de l’archipel polynésien. S’agit-il d’un dieu de la fertilité? D’après la tradition orale, la statue aurait été offerte par les habitants de Rurutu aux missionnaires de la London Missionnary Society en 1821, après leur conversion au protestantisme. Elle a ainsi a été sauvée du feu, comme ont disparu tous les autres vestiges religieux polynésiens. On la retrouve à Londres, exposée dans le musée de la London Missionnary Society puis donnée au British Museum en 1890. Elle a été présentée à plusieurs expositions où elle a fasciné (et inspiré) Pablo Picasso au point d’en acquérir une copie pour sa collection privée.
Tombée dans l’oubli malgré sa valeur exceptionnelle, elle a émergé des réserves du musée il y a peu de temps ; et vient d’être prêtée au musée de Tahiti et des îles pour sa réouverture en 2023, où nous avions eu la chance de la voir à côté d’’autres objets presqu’aussi exceptionnels.
Jimmy Cornell
C’est un excellent reportage avec des mervelleuses photos. Bravo !
Annie & Dominique
Vous nous avez convaincu, nous irons à Rurutu lors de notre prochain séjour en Polynésie.
Superbe reportage, l’auteur mérite nos félicitations
Bises à tous deux et à bientôt à La Rochelle
JP & Liliane Roux - Levrat
Merci de nous faire découvrir ces iles si belles et si lointaines. Bon vent
THIERRY VIE
Magnifique ( et coutumier ) reportage ! comment rester connecté au temps et à la civilisation métropolitaine ( rien de péjoratif dans le propos ) face à tout cela ?!
Avec ce paysage intensément fleuri on s’étonne presque que LVMH n’ait pas emboité le pas de “tonton” aprés sa visite présidentielle tant il doit être possible de concocter d’innombrables effluves de parfums…
D’un point de vue sportif et culturel, je viens de comprendre la signification du mot manureva cher à l’inoubliable Alain Colas dont on peut faire clin d’oeil à la mémoire en cette période de Vendée Globe Challenge.
Encore merci pour ce partage.
Enjoy !