Décembre 2024.
Situé à plus de 1000 milles au sud-est de Tahiti (la distance entre Brest et l’Islande), en prolongement des Tuamotu, quasiment sur le tropique du Capricorne, c’est le plus petit des 5 archipels de la Polynésie française. Le climat est plutôt tempéré, propice aux plantations d’arbres fruitiers. Les Gambier ont une identité propre, différente des autres archipels.
Pour visiter les Gambier en bateau, la route logique fait atterrir sur l’archipel directement en provenance de Panama, avec des vents généralement favorables. Comme nous avions pris du retard avant Panama, l’atterrissage aux Marquises s’imposait, renvoyant Gambier à plus tard. Il nous restait à faire 1000 M de route directe contre vents et courants depuis les Iles Sous – le – Vent. Cela suppose d’avoir la chance d’un vent pas trop fort, et qui oscille pour profiter de ses bascules. Nous n’aurons pas cette chance, malgré 3 tentatives. Plan B : comme pour les Australes l’an dernier, un billet d’avion Raiatea – Papeete – Mangareva et des réservations dans deux pensions. Avantage, c’est aussi l’opportunité de s’immerger dans la population locale.
L’archipel est principalement formé des restes d’un immense volcan, complètement effondré au sud avec 14 îles hautes dans le lagon et quelques motus en périphérie. L’aéroport est d’ailleurs sur un motu, Totegegie, et, après avoir atterri, il faut prendre la navette maritime pour rejoindre Mangareva, l’île principale, à ½ heure de navigation dans le lagon. En ce début décembre, les passagers sont principalement des mangareviens.
La première pension, chez Bianca, est située sur les hauteurs de la capitale Rikitea, avec une vue magnifique sur le lagon est et sur le mouillage principal.
Le bungalow est très agréable, et la cuisine, concoctée par Tania, fille de Bianca, est sensationnelle. Seul bémol, l’eau est coupée toute la nuit en raison des fuites du réseau d’eau!
Une piste part en direction de la pointe ouest, longeant une station météo copie de celle d’Hiva Oa (cf post sur les Marquises).
Plus loin, un magnifique sentier, le chemin des Apôtres, plonge vers quelques fermes isolées au bord du lagon.
Partout dans l’île on trouve les vestiges et les ruines des édifices religieux bâtis par les missionnaires. Ce qui frappe, outre leur nombre (76 recensés), c’est leurs dimensions colossales, adaptées à une population pré-européenne très nombreuse : le couvent de Rouru où on peut voir encore les ruines bien conservées de plusieurs bâtiments où vivaient une soixantaine de religieuses …


… des chapelles dont celle où est enterré le dernier roi des Gambier, Maputeoa, converti au catholicisme et décédé en 1857 ; des écoles, mais aussi des routes, des quais et des tours de guet.
Rikitea s’étire sur plus d’un kilomètre et rassemble la majorité des 1500 habitants des Gambier. Elle est dominée par une énorme cathédrale (la plus grande de Polynésie), ce qui, d’emblée, nous branche sur l’histoire de la conversion de l’archipel au catholicisme par les pères de la congrégation du Sacré Cœur (les frères de Picpus). On ne peut pas se promener aux Gambier sans tomber sur les ruines des monuments construits par les “frères bâtisseurs”. En annexe, à la fin de l’article, l’histoire de cette incroyable saga.
A côté du port, une dizaine de voiliers sont au mouillage. C’est un bon mouillage, protégé de la mer par les bancs de corail, mais totalement exposé aux vents dominants.
A Rikitea, on trouve, outre les bâtiments publics, un important collège, des petits commerces, des snacks, quelques magasins d’artisanat, le plus souvent chez l’habitant et des maisons bien entretenues, aux jardins magnifiques. C’est la pleine saison des litchis, et les arbres croulent sous les grappes.



Le lendemain de notre arrivée, c’est dimanche et la messe à la cathédrale Saint Michel est incontournable. Consacrée en 1841, après 4 ans de travaux seulement, sa nef peut accueillir plus de mille personnes!. Elle est richement décorée en nacres du lagon.
Pourtant en ce premier dimanche de l’avent, c’est seulement une petite centaine de paroissiens qui assistent à la messe. Le curé, venu de Tahiti, célèbre une messe très enjouée et baptise la petite Thérèse, qu’il présente à bout de bras à l’assemblée.
Mais contrairement à la ferveur qu’on avait sentie aux Australes à la messe de Raivavae, on ne ressent pas du tout la même chaleur.
Nous profitons des derniers jours de ce côté de l’île pour quelques premières randos. Un beau sentier coupe l’île en croix, SW – NE sur la crête, SE – NW en traversée. Il s’agit d’un sentier historique, qui date des premiers peuplements.
Le sentier traverse des forêts magnifiques de pinus et de gigantesques falcatas.
Après 3 jours, nous changeons de pension : la pension Maro’i, tenue par Michel Teakarotu, a les pieds dans le lagon de Gatavake, côté ouest de l’île.
Le site et magnifique, d’un calme absolu. Le bungalow donne sur une plage de sable fin. On prend les repas dans un fare construit sur un deck au dessus de l’eau. Au bout d’un long ponton sont amarrées les barques de travail. De nombreuses fermes perlières occupent les bords du lagon mais, en ce début décembre, il n’y a pas beaucoup d’activité. Michel nous accueille très chaleureusement et nous fait partager son amour des Gambier, en abordant aussi son histoire et les problèmes actuels. Golden, le chien de la pension, devient notre compagnon de promenade et notre ange gardien.
C’est de la pension que nous visitons l’île à pied de fond en comble, précédés de Golden et d’une meute de chiens qui le suivent.
Mangareva est dominée par deux pics, le mont Duff et le mont Mokoto, culminant à 441 et 423 mètres.
Les sentiers sont récents, bien balisés par le Mangareva Pearl Trail, à l’initiative d’un trailer réunionnais installé ici. Parfois, on s’y perd un peu.
Plus haut, les chemins coupent tout droit dans la pente, quelquefois aménagés avec des cordes sur le grandes hauteurs pour éviter de dévaler. Et à certains endroits, c’est vraiment chaud, d’autant qu’on marche sur des aiguilles d’aitos ou de pinus, où on glisse comme sur une piste de ski. Les vues des sommets sont époustouflantes et nous avons de la chance d’avoir beau temps pour ces deux ascensions.

Sans Spica pour découvrir le lagon, nous partons pour une excursion en barque pleine balle, sans taud, sans coussin, à la dure! Presque une visite privée que l’on partage avec un touriste hollandais de la pension. C’est le fils de notre hôte, Apeiti, qui nous sert de guide accompagné d’un marin-cuisinier. Au menu : les trois îles hautes principales après Mangareva : Aukura, Akamanu et Taravai. Le lagon est splendide avec des couleurs turquoises d’où émergent ces îles volcaniques couvertes de végétation. Les baies sont encombrées de fermes perlières avec leurs petites cabanes sur pilotis et les bouées des parcs à huitre à perte de vue.
Premier stop à Aukura. C’est la première île où s’est établi le père Laval, l’un des principaux missionnaires qui a régné en despote pendant 30 ans. L’église Saint Raphael a récemment été restaurée.
L’île est coupée en deux : une moitié a été rachetée par Wan, le magnat de la perle de Tahiti; pour y loger ses employés; l’autre est quasi-déserte; gardée par un mangarevien qui y vit.

Outre cette tour de guet, l’île abrite de nombreux vestiges, notamment cet établissement scolaire démesuré pour la population de l’île.
Deuxième stop à Akamaru, splendide, cernée par le lagon. Trois bateaux occupent cet excellent mouillage, protégé par un récif de corail, mais d’un accès particulièrement tortueux.

L’église, repeinte en blanc avec des encadrements bleus, est construite sur le modèle de la cathédrale de Chartres, démesure et délire financier.
On peut voir la maison d’habitation du père Laval restaurée et d’autres bâtiments en ruine, ainsi que la résidence d’été de la famille royale.


Quelques habitants habitent à l’année. Nos amis Isa et Sylvain, du bateau Oxygen, nous avaient recommandé de les chercher. Nous les avons retrouvés au bord de l’eau, sur l’exploitation familiale. Après avoir exploité une ferme perlière, ils se tournent vers la culture de vanille, dans une prise de conscience des dégradations du lagon par les fermes perlières.
On aborde l’ilot voisin Mekiro pour le déjeuner sur la plage, excellent. Pendant la préparation, on part faire un petit snorkeling dans une eau limpide, beaucoup plus fraiche qu’aux îles de la Société : mais ici les coraux sont magnifiques, très variés et les poissons nombreux. Un chemin part de la plage pour rejoindre le sommet de Mekiro et sa vue panoramique sur le lagon.

Après une longue traversée du lagon, sous une bonne averse, on débarque sur l’île de Taravai : là encore une église Saint Gabriel et les ruines d’une arche monumentale. Un des fils de Michel cultive un jardin potager après avoir lui aussi tourné le dos aux perles.
Avec Michel T. nous allons visiter la ferme perlière de son cousin. Car la sienne n’est pas actuellement en activité.
C’est la saison de collecte du naissain. Ici c’est la récolte de la première greffe. Le travail à la chaine est très bien organisé : les plongeurs ramènent les pochons d’huitres ; sur le ponton, deux détroqueuses nettoient les huitres.
Elles les font passer à une troisième personne qui les entrouvre sans les blesser et laisse avec un coin en bois ; elle les fait passer à la greffeuse chinoise, installée face à une table de travail avec tous ses instruments à portée, les nucleus et les bacs de tri. Elle est très concentrée car le rendement impose une cadence infernale ; elle ne lève pas une seule fois les yeux vers nous.
Ce sont des huitres de 4 ans, déjà greffées une première fois. Elle incise la poche génitale pour retirer la perle et, selon l’état de l’huitre, la qualité de la perle extraite et d’autres paramètres…, elle décide de greffer une deuxième fois (soit environ dans 30% des cas) en introduisant un nucléus d’une taille appropriée. Ses gestes sont d’une extrême précision, avec un savoir-faire acquis pendant plusieurs années.
Il ne reste plus qu’à valoriser les deux sous-produits de l’industrie perlière, le korori, délicieuse partie charnue blanche (à gauche) qui se mange crue en carpaccio ou cuite dans des bouillons, et les nacres qui sont embraquées en sacs dans le cargo pour Papeete


De retour à la pension, Michel T. nous montre des perles de sa production et des keishis, amas de nacre dans les huitres qui ont rejeté leur nucleus, presqu’aussi recherchés que les perles. Les keshis sont vendus au poids, mais la balance de Michel est en panne, dommage!
Tous les jours, en fin d’après-midi, Michel nous offre un délicieux punch aux litchis de sa fabrication. C’est l’occasion pour lui de nous parler de Mangareva, ce paradis pour les amoureux d’isolement. Cela crée forcément des liens avec les autres îles isolées comme l’Ile de Pâques qui partage certains éléments culturels. Lors d’échanges avec les pascuans, il a reçu en cadeau des objets cérémoniels qui décorent son salon. Des liens existent aussi avec Pitcairn, ravitaillée par un bateau neo-zélandais qui fait escale à Mangareva et amène des touristes en mal de terres perdues dans l’océan ou curieux de visiter l’île où se sont réfugiés les révoltés de la Bounty, après la mutinerie de l’équipage menée par Fletcher Christian.
Mais Michel T. nous dévoile aussi les difficultés et l’envers du décor, celui qui n’est pas montré dans les guides. En particulier sur les essais nucléaires menés par le CEP (Centre d’Expérimentation du Pacifique). Moruroa et Fangataufa, les deux atolls choisis pour les essais, ne sont qu’à 225 milles des Gambier. C’est pourquoi les militaires ont construit l’aéroport sur le motu Totegegie pour servir de base aux évacuations sanitaires et autres transports. Parmi les infrastructures construites : une station météo, des appareils de mesure des radiations, une station de géophysique (pour enregistrer les variations sismiques des explosions) et un abri anti-atomique. Michel, qui était enfant à cette époque, se souvient d’avoir vu des champignons atomiques et assisté à des séances de cinéma avec distribution de friandises lors des tirs. Ces infrastructures et l’argent déversé sur l’île ont été perçues, à l’époque, comme une manne pour les Gambier, comme pour l’ensemble de la Polynésie Mais de l’irradiation de la population, peu de bilan. Une enquête est en cours actuellement. Mais il semble bien qu’une tranche d’âge de la population ait souffert d’un nombre anormal de cancers, sans que l’on n’ait de chiffre précis.
Le souci actuel de Michel est l’évolution des jeunes sur l’île, qui sont en perte de repères, voire pour certains affichent un esprit de révolte : contre les missionnaires qui ont effacé la culture ancienne, contre le déni des conséquences sanitaires des essais nucléaires, contre l’atteinte à l’environnement du lagon par les fermes perlières et leurs infrastructures rouillées et abandonnées…
Sur le point de quitter les Gambier après une semaine de rêve, on apprend qu’une grève des agents de la fonction publique, qui demandent une augmentation de 40% (!), perturbe toute la Polynésie. Le seul pompier de l’aéroport est gréviste et les vols réguliers sont annulés. Pas d’alternative car il n’y a pas de transport de passagers sur les cargos ravitailleurs. Le pire c’est que certains vols sont assurés comme les évacuations sanitaires (Evasan comme ils disent) et les retours des enfants de Tahiti ou Hao, pour les vacances scolaires, à moitié vides. On passe des coups de fils à Air Tahiti, la compagnie aérienne qui botte en touche, au gouvernement, à l’aviation civile… Bien sûr on n’est pas les seuls dans cette situation et il se forme une petite communauté de passagers abandonnés : une infirmière, des kiné, une interne en médecine, un touriste hollandais de retour de Pitcairn; …. On se passe les infos et le yoyo émotionnel joue sur nos nerfs quand on apprend qu’un vol va avoir lieu, puis que les touristes ne seront pas admis… S’organisent alors des jeux de société pour garder la bonne humeur.
Mais c’est quand même difficile car notre hôte Michel T. est parti avec le vol Evasan, et son fils est particulièrement peu aimable. Une grosse perturbation en profite pour nous inonder, avec orages et coupures de courant et de téléphone. La nuit, des rats font la java sur notre toit, excitant les chiens qui hurlent… Ce n’est pas encore le cauchemar, mais ce n’est plus le paradis de la première semaine. Et conséquence supplémentaire, on est obligé de décaler notre billet d’avion de retour vers la France à nos frais. D’ailleurs l’addition, salée, est à notre charge car ce n’est la faute à personne. Bon, après un dernier suspens, on embarque le samedi suivant dans un avion aux ¾ plein seulement! Pour la population les conséquences sont aussi sérieuses : récoltes de litchis perdues, matériel non livré, et même un mariage raté… Mais les polynésiens sont plus fatalistes ou résilients que nous. Ou plus tolérants vis à vis de l’irresponsabilité de la fonction publique locale.
Indépendamment de ces aléas, le souvenir de ce séjour aux Gambier reste un peu mitigé.On n’a pas trouvé l’accueil des Mangaréviens aussi chaleureux que celui des habitants des Australes, surtout Raivavae et Rurutu, encore moins des marquisiens. La comparaison avec la richesse culturelle des Marquises est un peu cruelle pour les Gambier, au passé détruit par les missionnaires, et en mal de nouveaux repères.
Annexe 1 : Histoire des Gambier
De l’histoire pré-européenne, on connaît peu de choses. Les Gambier auraient été peuplés aux environs de 900-950 par des migrants venus de l’ouest en direction de Rapa-Nui, l’Ile de Pâques avec laquelle elle partage des points communs linguistiques. Elle aurait subi l’invasion de puissants chefs guerriers de Rarotonga aux Iles Cook puis par des peuples venus des Marquises, dont on retrouve certains éléments de culture et de langue. Sur le même schéma qu’aux Marquises, le chef Tupa organisa la société de façon très hiérarchisée, avec des cérémonies religieuses sur des marae et différentes divinités dont le plus important Tu, le dieu de la nourriture. Puis la population semble s’être repliée sur elle-même pendant plusieurs siècles. Il ne reste pratiquement plus aucun objet de cette civilisation. Seules une dizaine de pièces en bois subsistent, réparties dans différents musées, dont deux tikis représentant le dieu Rogo, associé aux cultures (prêté par le British Museum au musée de Tahiti et ses Iles) et le dieu Rao associé à la culture du curcuma.
En 1797, le vaisseau Duff, commandé parJames Wilson, transportant les premiers missionnaires protestants de la London Missionary Society, fut le premier navire à voir l’archipel. Wilson le baptise du nom de l’amiral Gambier qui soutenait la mission, et donne le nom de son vaisseau, le Duff, au point culminant de l’île.
En 1825, William Beechey, de retour de Pitcairn où il a retrouvé des descendants des mutins de la Bounty, fait escale à Rikitea et fait connaître les Gambier et la richesse de son lagon à son retour en Angleterre.C’est à la suite de son récit que des marchands et aventuriers font le commerce de la nacre, très abondante et de grande qualité, en pillant des ressources de l’île.
En 1834, les catholiques français, cherchant à contrecarrer la mainmise des protestants sur les Iles de la Société, débarquent aux Gambier. Ils fondent une mission catholique à Aukena sous l’autorité des pères Caret et Laval, de la congrégation des Sacré-Cœursde Jésus et Marie (dits frères de Picpus).
La rapidité avec laquelle ils réussissent l’évangélisation de la population surprend. Il semble qu’ils aient bénéficié d’un concours de circonstances. Tout d’abord une prédiction de la prêtresse Toaperequi aurait prédit la fuite des divinités de son île, rendues impuissantes par un dieu venu d’ailleurs qui leur ravirait le pouvoir. Et d’autre part des guérisons de malades jugés mourants après l’intervention des prêtres. En près de deux ans toute la population se convertit au catholicisme, rejetant leur culture traditionnelle et leur mode de vie ancestrale. C’est dans un véritable autodafé qu’ils semblent avoir brûlé tous leurs objets rituels.
Le père Laval installe son autorité pendant plusieurs décennies et grâce aux frères bâtisseurs qui amènent leur savoir-faire, c’est une frénésie de construction qui métamorphose l’île. Il est certain que les mangaréviens n’ont pas eu le choix de ces travaux titanesques que les religieux leur ont imposé, aboutissant à une forme d’esclavagisme. L’explorateur Dumont d’Urville est témoin, lors de son passage en 1838, de l’impressionnante entreprise de construction de bâtiments et s’interroge alors sur l’épuisement de la population dans ces travaux titanesques.
Les Gambier deviennent protectorat français en 1844 mais l’autorité est assurée par Laval. Progressivement l’instauration de cette théocratie religieuse déplait aux autorités françaises qui expulsent Laval à Tahiti et annexent finalement les Gambier en 1881.
Durant cette période, la population baisse drastiquement, passant de plusieurs milliers, 5000 à 10000 habitants, à moins de 500. Est-ce que ce sont les conséquences de ces travaux forcés, l’interdiction de la culture traditionnelle, les maladies apportées par les bateaux marchands?
L’archipel semble s’être refermé sur lui-même, avec une population stable autour de 500 à 600 personnes jusqu’en 1960 où elle a grimpé à 1300 quand le CEP (Centre d’expérimentation du Pacifique) a installé un support logistique aux essais nucléaires sur les îles voisines de Moruroa et Fangataufa. Les habitants n’ont vu que la manne financière et n’ont absolument pas été prévenus des risques sanitaires sur la population et les sols, liés aux explosions nucléaires. Depuis ,la population est stable autour de 1300 habitants.
Il reste de l’époque des missionnaires un catholicisme très ancré dans la vie des mangaréviens et on peut constater que la majorité des mangaréviens n’est pas tatouée. Par contre on sent un malaise très palpable chez les jeunes en perte de repères.
Annexe 2 : la perliculture aux Gambier
Tout autant que les missionnaires et les essais nucléaires ont eu un impact profond sur les Gambier, c’est l’exploitation du lagon et le trésor que représente l’huitre perlière qui façonne encore la vie des mangaréviens.
Je prends mes sources dans un fascicule intitulé : « Mes Gambier, L’archipel des perles multicolores”, publié en 2023 par Irénéo Teakarotu, perliculteur passionné par son métier et son archipel.
Dès le milieu du XIXème siècle, l’exploitation des « nacres » se développe de façon exponentielle pour la fabrication des boutons. Certaines années ce sont plus de 1000 tonnes de nacre qui sont expédiées en Europe. Cette surexploitation appauvrit le lagon jusqu’à provoquer la quasi extinction de la ressource. Mais ce n’est pas la sagesse des hommes qui arrête cette exploitation mais l’avènement du plastique qui remplace la nacre dans la fabrication des boutons!
L’histoire de la culture de la perle débute principalement au Japon au début du XXème siècle près de Kobe où Mikimoto, après de nombreux tâtonnements, met au point le processus de greffe : introduction d’un corps étranger sphérique dans la poche génitale de l’huitre pour stimuler la production de nacre et produire une perle ronde, choix de ce nucleus n’entrainant pas de rejet de l’huitre provenant de la coquille d’une huitre du Mississipi et mise au contact d’un petit fragment du manteau d’une huitre sacrifiée pour lui donner sa couleur. Pour la greffe elle-même, il fait appel à un ami dentiste et conçoit des outils inspirés de ceux utilisés pour les soins dentaires. Il met au point les collecteurs, sortes de pochons où les huitres sont fixées pour ne pas se toucher et bénéficier de la lumière du soleil.
En Polynésie, la perliculture va mettre plus de 50 ans pour se développer. C’est d’abord un ostréiculteur du Bassin d’Arcachon, Simon Grand, qui, à partir de 1900, réalise le collectage des naissains à Mangareva pour régénérer les lagons. Opération reproduite par deux biologistes dans les années 1930 aux Tuamotu, permettant à l’espèce d’huitre « Pinctada Margaritifera » d’être sauvée.
Puis c’est grâce à la ténacité d’un vétérinaire, Jean-Marie Domard, que les premières greffes vont être réalisées, à partir de 1957. Il va au Japon et persuade un greffeur de venir réaliser des greffes en Polynésie : les premières expérimentations se montent à Hikueru et Bora Bora. En 1963 la première récolte est une réussite : un tiers de perles sont rondes, avec des reflets exceptionnels. En 1967 il crée la première ferme à Manihi, aidé par un bijoutier de la place Vendôme. Mais le succès commercial se limite au marché local polynésien.
L’histoire rebondit avec Jean-Claude Brouillet, ancien résistant et pilote de brousee en Afrique. Arrivé en 1960 en Polynésie, il ouvre des hôtels de luxe et, en 1970, découvre les perles de Tahiti et tombe sous leur charme. Il entrevoit un marché très prometteur, achète le petit atoll de Manutea Sud, au large des Gambier et investit tout son argent pour produire les « plus belle perles du monde » en s’entourant de spécialiste dont un greffeur japonais. Quatre ans après, la récolte est satisfaisante. Grace à son charisme, il obtient la reconnaissance mondiale de la perle « noire » de Tahiti. Mais en 1984, il part vers d’autres aventures et revend sa ferme à Robert Wan, un homme d’affaire polynésien, d’origine chinoise. Cela fait déjà une dizaine d’années qu’il s’intéresse à la perliculture et a déjà acheté un atoll aux Tuamotu pour faire des essais de naissains. L’achat de Manutea sud tombe à pic pour concrétiser son ambition. Travailleur infatigable, il construit un empire et devient le plus gros producteur de perles de Polynésie. Aux Gambier, il possède plus de la moitié des fermes perlières, a racheté une moitié d’île pour loger ses greffeurs chinois qui vivent en autarcie entre leur logement et la ferme perlière. La qualité de ses perles est top, en particulier la variété des couleurs, allant du vert océan au bleu, aubergine, doré, argent ; et leur lustre qui correspond à la brillance. Mais, à côté des perles, les keshis, amas de nacre irréguliers après rejet du nucleus, sont très prisés et leur prix au gramme s’est envolé depuis quelques années.
Dans le lagon, les autres fermes perlières appartiennent aux mangaréviens qui, souvent après avoir été employés par Wan, ont créée leur propre ferme, avec bien sûr des aides de l’état. Eux aussi emploient principalement des greffeurs chinois. Ils vont à Tahiti vendre leurs perles à des intermédiaires, au meilleur prix.
D’ailleurs peu de perles produites aux Gambier y sont vendues, d’autant qu’il n’existe pas de bijoutier mais quelques artisans locaux pour les monter. On retrouve donc les perles des Gambier, particulièrement prisées, dans les plus belles bijouteries de Tahiti, Moorea et Bora Bora, à des prix très élevés.
Mais cette exploitation des perles aux Gambier reste économiquement fragile.
Une première crise est survenue en 2002-2003 : la multiplication des fermes perlières conduit à un effondrement du marché mondial et de nombreuse fermes disparaissent, en laissant, au passage, toutes les infrastructures sous-marines de béton, chaines et piquets métalliques, pochons plastiques, bouées flottantes. Cette pollution des lagons commence à être prise en compte : en 2020 103 fermes restent en exploitation aux Gambier et 103 tonnes de déchets ont été ramassés et envoyés à Tahiti pour traitement. La deuxième crise est due au Covid quand tous les greffeurs chinois sont rentrés en Chine pendant 2 ans, mettant quasiment à l’arrêt les exploitations. Depuis 2022, seulement quelques uns sont revenus, mais entretemps le matériel s’est dégradé et il faudrait réinvestir. De plus la récolte du naissain est en déclin. Espérons qu’une fois encore cette activité pourra rebondir car la perliculture est l’économie principale des Gambier.









































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