Iles Sous-le-Vent : Huahine

Classé dans : Pacifique, Polynésie | 5

Huahine, l’authentique

Quand on vient des autres Iles Sous-le-Vent, Huahine se mérite : située à l’est, il faut remonter l’alizé pour la rejoindre. Nos deux traversées entre Tahaa et Huahine n’y dérogeront pas, mais la distance n’est que d’une vingtaine de milles.

Notre premier séjour, très court, nous a donné l’envie de nous poser pour bien visiter l’île.

Le lagon de Huahine s’interrompt au nord, et on ne peut pas naviguer entre les côtés est et ouest par le sud. Pour rejoindre le lagon est, il faut faire tout le tour de l’île contre le vent, et les mouillages y sont peu nombreux et assez exposés, ce sera (peut-être) pour une autre fois.

La partie ouest est la plus fréquentée. Curieusement, elle est accessible par deux passes côte à côte, juste en face de la capitale Fare, construite sur une belle baie au pied des collines.

Par période de forte houle (nous aurons près de 4m lors de notre premier séjour, près de 3 m lors du deuxième), le lagon se remplit par le sud et ne peut se vider que par le nord, provoquant une courant sud-nord atteignant 2,5 nds, y compris au mouillage de Fare. Entre les deux passes, un grand banc de sable recouvert de 2 – 3 m d’eau, semé de patates de corail et de tenue moyenne (du gravier mélangé à des coraux morts). C’est là que nous mouillons juste en face du petit ponton du Yacht Club, bien pratique, à deux pas du centre de Fare (curieux cette dénomination « yacht club », comme à Bora, pour un simple restaurant). Du mouillage, très belle vue sur Raiatea – Taha’a.

Il y a une autre possibilité de mouillage devant la plage de Fare, mais il est très encombré et encore plus dans le courant. Il est censé y avoir des corps morts, mais il n’en reste plus que 2 ou 3, tous occupés. Huahine a mauvaise presse, les réseaux sociaux parlent en boucle d’agressions contre les voileux et de vols. Cette fois-ci, à part la gentillesse de tous, rien à signaler!

En ce mardi matin, le village de Fare est animé, avec son supermarché sur le quai, ses étals de fruits et légumes, venant de jardins ou petites exploitations, c’est un lieu idéal pour se réapprovisionner en tout.

Un coup de cœur pour les chips d’uru (fruit de l’arbre à pain)!

Plusieurs roulottes proposent de la cuisine locale. Quelques boutiques et les commerces de proximité complètent le tableau. Le restaurant du yacht-club est un peu à l’écart, au bord de l’eau, sous les palmes. Poisson frais face au lagon et soirée musicale le vendredi.

A côté une petite galerie d’art présente de beaux tableaux de Melanie, artiste américaine talentueuse installée à Huahine.

Le chenal qui descend au sud, au pied des montagnes, est bien balisé. De grandes baies échancrent la côte : Port Bourayne, grande anse presque fermée par un petit motu à l’entrée, a des airs de lac de montagne, bordé de forêts.

Au fond de la baie, un petit pont relie les deux îles, Huahine Nui au nord et Huahine Iti au sud (nui = grand, iti = petit).

La baie d’Avea, tout au sud de l’île, marque la fin de la partie navigable du lagon.

Elle est  bordée de plages et de cocoteraies, et prolongée d’un grand banc de sable doré qui va jusqu’au récif. Nous croisons Miri et Yves sur leur trimaran, en route pour Taha’a (nous reparlerons longtemps d’eux plus loin).

D’autres pirogues à voile sont à l’entrainement.

Lors de nos séjours, la forte houle provoquera une élévation du niveau du lagon d’environ 40 cm. Malgré cette surcôte, nous n’avons mesuré que 1,70 m au maximum sur le banc, et ça nous paraît hasardeux de ne laisser que 50 cm sous Spica, d’autant que des trains de houle arrivent à franchir le récif. On mouille donc dans le chenal derrière le banc, dans 12 à 13 mètres de fond de sable fin de très bonne tenue. Malgré de fortes rafales qui font le tour de la pointe, le mouillage où nous resterons 10 jours est étonnamment calme et protégé. Il est d’ailleurs réputé sûr par mara’amu, ce vent très fort de sud-est généré par les dépressions des 40èmes, accompagné de pluie continue et de forte houle, plutôt au programme des mois d’hiver, juillet – août.

C’est un endroit idéal pour se poser et profiter du calme avec ses voisins de mouillage. Nous y resterons 10 jours, rare pour nous qui avons un peu la bougeotte…

Tous les jours, il y a concours pour le plus beau coucher de soleil.

Cerise sur le gâteau, un bel hôtel, le Mahana, cache ses bungalows sous de beaux arbres et se révèle très accueillant pour les équipages : dock pour le dinghy, services (locations scooters, vélos et voiture, laverie – le tout à prix un peu indécent toutefois).

Il vaut mieux se rabattre sur l’happy hour, tous les jours de 17 :30 à 18 :30! Le restaurant est top, pour un repas rapide le midi ou un dîner classe et excellent le soir, en compagnie d’un héron.

On  y  retrouve les équipages de Tao, Nathalie et Michel et de Rodignard, le monocoque canadien de Diane et Richard, au solide accent québécois. Pour finir le tour du propriétaire, le snorkeling au bout du ponton est plus intéressant que d’autres sites plus isolés au large.

Juste à côté, une institution de Huahine, Chez Tara.

C’est un petit restaurant de bord de plage, avec un four polynésien tous les dimanche qui attire les touristes de toute l’île. Cuisine authentique, ambiance folklorique, mais il ne faut pas être pressé (ce qui est le cas).

10 jours au mouillage sans bouger, ça ne nous été jamais arrivé, et ça ne nous arrivera probablement plus à Huahine, puisque la bureaucratie qui a fait des ravages à Moorea puis à Raiatea vient de gagner Huahine, avec l’annonce de l’interdiction de mouillage sur son ancre, l’installation de 88 corps morts, et la limitation du séjour à 48h…

En faisant le tour de la pointe en annexe, on découvre la baie de Parea, petit village au bout du monde. C’est là qu’est installée Miri, artiste qui peint des paréos originaux qu’elle vend chez elle.

Forte personnalité, elle partage avec Yves l’amour de la mer. Il a construit en bois moulé une pirogue à voile, trimaran inspiré des bateaux traditionnels, avec une coque très étroite et des avirons en guise de safran, avec laquelle ils naviguent dans le lagon, voire au-delà (nous les avons croisés à Taha’a). La pirogue est mouillée devant leur maison.

On sympathise et nous avons l’honneur d’être invités sur leur motu. Prévu initialement en annexe seuls, puis avec Miri, c’est finalement Yves qui nous transporte sur leur pirogue.

On note l’absence de safran, la pirogue, malgré sa taille respectable, est dirigée, à l’ancienne, par un aviron bloqué contre la coque par par pression de l’eau. Et il n’y a pas une seule pièce métallique dans la coque, tout tient par des surliures qui assurent la souplesse, et donc la longévité de l’assemblage.

Leur fare se situe sur le motu Araara, face à l’océan.

Le feu est vite démarré pour griller les perroquets et un autre poisson mystérieux. Pendant ce temps, on est mis à contribution pour aller arracher le manioc du fa’a’apu (la terre cultivée des polynésiens), débourrer, ouvrir et raper les cocos pour presser le lait dans lequel sera cuit le manioc. Pendant que ça cuit, visite de l’atelier d’Yves, où une nouvelle pirogue est en construction.  Moment inoubliable. Inutile de préciser que le déjeuner fut un régal, même la Hinano bien fraîche avait fait le trajet en glacière. Le retour chez Miri sera tardif, et le trajet retour vers Spica un peu scabreux, alors qu’il fait déjà trop sombre pour bien voir le chenal entre les coraux.

A la pointe sud de l’île, un marae en bord de mer assez bien conservé.

Sur la route de ce marae, une superbe cocoteraie borde le lagon, on ne se lasse pas de la sérénité des lieux.

Juste en face, un chemin grimpe sur un premier point de vue.

Par un chemin sur la droite que nous a indiqué Yves, on rejoint la ligne de crête dans une forêt de bois de fer, au milieu des fleurs.

Le sentier aboutit à une plateforme dégagée qui donne un point de vue époustouflant sur le lagon et le mouillage.

Sur le banc de sable, on est intrigués par deux maisons flottantes en forme de pirogue. Sur l’une d’elle on discute avec Temanu, jeune fille accueillante qui nous explique que la pirogue appartient à ses parents et nous propose de venir prendre l’apéritif le soir. C’est ainsi qu’on fait la connaissance de sa famille : son père Teiki, sa mère Tea et son copain. Il y a aussi Daniel qui possède la deuxième pirogue qu’il loue en Airbnb, et deux anglaises qui vivent à côté de nous sur un petit catamaran Wharam en bois construit en Norvège, dans des conditions rustiques. Teiki est une figure de Polynésie, dont il connaît toutes les finesses de ses traditions. Ses convictions l’ont embarqué dans un long combat contre la famille de Marlon Brando, sur l’atoll de Tetiaroa.

On loue une voiture pour visiter l’île. La route serpente d’une baie à l’autre et grimpe sur les hauteurs avec des vues saisissantes sur le lagon est.

Côté est, la grande baie de Maroe sépare les deux îles en face de celle de Bourayne. La passe de l’ouest est large mais la baie est très profonde, sans possibilité de mouillage pour nous. Le paquebot à voile Star Wind y déverse sa livraison hebdomadaire de passagers américains.

En remontant la côte est de Huahine Nui, on traverse le village de Faie, célèbre pour ses anguilles sacrées aux yeux bleus, on n’invente pas.

Le village de Maeva abrite de nombreux vestiges archéologiques. Ils rappellent l’importance du peuplement de Huahine avant l’arrivée des Européens. Un grand marae témoigne de la présence d’une lignée royale, avec plusieurs marae secondaires.

Dans le bras de mer étroit, des pièges à poissons en pierre subsistent de la période pré-européenne et sont encore en service aujourd’hui.

Un grand fare ovale très ancien, construit sur pilotis au dessus de la berge a été reconstruit à l’identique après un cyclone, au milieu de plusieurs marae. Il a été transformé en musée et détaille cette histoire locale très riche, notamment l’histoire des va’a. Nous ne pourrons pas faire la petite randonnée qui amène au point culminant, car un énergumène surgi des fourrés nous barre le chemin en vociférant, revendiquant la propriété du chemin en nous reprochant de lui piquer sa vanille.

Un peu plus loin un jardin de corail se situe sur le site d’un ancien hôtel Sofitel, abimé par un cyclone et entièrement démonté (il ne reste que les accès et les ruines de la piscine). Comme partout ailleurs le corail est très abîmé mais les poissons multicolores du lagon sont au rendez-vous. Huahine est un peu l’île des hôtels haut de gamme fermés. Outre celui-ci, le Royal Huahine sur la côte ouest vient de fermer, et le célèbre Hana Iti, a été démonté dans les années 2000, on en parlera plus loin.

Au Motu Trésor, on visite un petit musée de coquillages, collection patiemment réunie par Franck depuis 39 ans, vrai puits de science sur les coquillages. A titre anecdotique : nous apprenons que toutes les coquilles du monde entier tournent dans un sens, sauf une seule espèce! Franck fait de la prévention sur les risques de piqûres de cônes, mortelles et sans antidote…

A l’hôtel Lapita, près de Fare, on tombe sur un musée très peu connu malgré sa richesse. Les vestiges archéologiques découverts dans une lagune lors de la construction de l’hôtel sont exposés dans l’entrée. Ce sont des poteries Lapita, première civilisation du Pacifique, et divers objets bien conservés dans la vase. En fin d’article, un complément historique sur ce qu’on a compris de cette civilisaton pré-polynésienne.

Après ce séjour prolongé à Avea, nous remontons l’ancre enfouie dans le sable pour un saut de puce jusqu’à la plage de l’ancien hôtel Hana Iti, où sont installées quelques bouées.

Seiki, le gardien de la plage nous indique une balade sur les hauteurs dans l’enclos de l’ancien hôtel. L’Hana Iti passe pour avoir été le plus bel hôtel du Pacifique. Folie d’un américain fortuné, Tom Kurz, il avait été conçu sous forme de bungalows délirants en bois rares, accrochés aux arbres et aux falaises, avec des vues panoramiques sur la canopée et Port Bourayne. Il n’en reste plus rien!

Dans les années 2000, bien amoché par un cyclone et en défaut d’assurance, il est saisi, totalement démantelé et le terrain préempt par le gouvernement, en attente d’un hypothétique repreneur. Au bout de ce lien, une pépite, un film vintage amateur qui fait visiter l’hôtel avec une interview de son concepteur : https://www.youtube.com/watch?v=P9q7bgDwMr0

On retrouve nos amis, Teiki et sa famille, venus mettre leur pirogue-maison à l’abri de la houle à Port Bourayne. Rendez-vous pris le soir pour un verre sur Spica, vite transformé en repas. Arrivés en force avec Daniel, propriétaire de l’autre pirogue, ils amènent un plat de poisson traditionnel cuisiné par Temanu, ukulele, guitare, bandonéon et harmonicas pour une soirée exceptionnelle de musique live et de rigolade. On commence par le répertoire traditionnel polynésien, et on finit par Brassens revisite en tamure, un petit chef d’œuvre.

Retour à Fare, en attente du retour du vent, pour revenir dans le lagon de Taha’a avant de se poser à Bora Bora.

Complément : la civilisation pré-polynésienne Lapita

Cette modeste mare au milieu d’un hôtel a une importance capitale dans la connaissance des civilisations pré-polynésiennes.

Au cours de la construction de l’hôtel en 1970, des objets en bois sont déterrés lors du  creusement d’un étang ornemental dans une vasière. Très rapidement, il apparaît que ces objets font partie de vestiges archéologiques très importants. Des bois provenant de grandes pirogues et des morceaux de poterie ont permis d’élaborer des hypothèses sur l’origine du peuplement de la Polynésie par le peuple Lapita, ancêtres des Polynésiens. Une exposition dans le hall de l’hôtel résume ces hypothèses :

Le terme Lapita vient d’un ancien village de la côte est de La Nouvelle Calédonie où ont été découverts pour la première fois des fragments de poterie d’une civilisation jusqu’alors inconnue. Ces poteries sont décorées de motifs géométriques pointillés, de représentations de visages et des indentations sur les bords.

D’autres sites ont été mis à jour en Mélanésie et les plus anciens vestiges ont été retrouvés sur l’Archipel Bismarck, au nord de la Nouvelle Guinée vers 1500 av JC.

Cette civilisation avait une tradition de voyage qui, par migrations successives vers l’est, va coloniser les archipels de la Mélanésie (Papouasie-Nouvelle Guinée, îles Salomon, Vanuatu, Nouvelle Calédonie, Wallis et Futuna, Fidji, Samoa, Tonga…).

Les Lapitas voyageaient sur de grandes pirogues doubles. Ils apportaient avec eux des plantes à racines (taro, igname, bananier et plantain) et des arbres (cocotier, arbre à pain, châtaigner, amandier du Pacifique) ; des animaux, cochons, chiens, poulets et peut-être des rats. Leur culture maritime était aussi très développée, avec une bonne connaissance des mammifères marins, des crustacés, mollusques et algues comestibles. Ils établissaient leurs villages dans les zones littorales avec des maisons sur pilotis. Pendant plusieurs centaines d’années, ils continuent le commerce entre les anciennes et les nouvelles colonies, en pratiquant le commerce d’ornements fabriqués à l’aide d’outils issus de matériaux marins et d’herminettes de pierre (retrouvés dans les fouilles).

Ils se seraient sédentarisés aux îles Samoa et Tonga, vers le 1er millénaire av JC. C’est dans ces îles que se serait développée la société polynésienne ancestrale : apparition des notions de clan et d’appartenance tribale, d’une religion basée sur le culte des ancêtres, représentation de tiki, concepts du Mana (pouvoir d’influence sacrée) et du Tapu (interdiction spirituelle). La langue primitive « austronésienne » a évolué en deux langues distingues, l’une tongienne et l’autre samoane. Les décorations des poteries se sont raréfiées.

Ce n’est que dans les années 750 à 800 de notre ère, soit plus d’un millénaire d’écart, que ces peuples vont à nouveau migrer vers l’est, sans que l’on connaisse la raison de cette nouvelle migration : guerres, surpopulation, curiosité… On suppose qu’ils avaient acquis des connaissances de navigation astrale pour franchir plus de 1000 milles en plein océan Pacifique. Des vestiges de ces premières implantations ont été trouvés à Huahine et  Maupiti, aux îles Sous-le-Vent ; Ua Huka et Nuku Hiva aux Marquises. Mais la tradition orale retient Raiatea comme la première île habitée, connue sous le nom d’Hawaiki, Avaiki, Hava’i et, à ce titre, est appelée l’île sacrée.

5 Responses

  1. Philippe lobert

    Cet article nous rappelle d’excellents souvenirs d’une île que nous avons particulièrement appréciée.
    Merci de nous faire vivre une deuxième fois ce merveilleux voyage.
    Bon vent pour la suite.

  2. sylvie branchet

    magnifique article, merci à vous!
    j’ai appris plein de choses, et beaucoup rêvé!

    Bon vent, et belles rencontres pour tous les 2.
    Bises
    Sylvie

    ps: Laurent a dévoré “Tout est ori” et je le déguste!

  3. Hosteing

    Qu’il fait bon « voyager » avec vous à la quête de lieux et de personnes authentiques dans des univers totalement inconnus du terrien que je suis.
    Grand merci aussi pour la qualité et la simplicité de votre partage.
    Bon vent…de retour, un jour.. chers Michel et Christine!
    Amitié
    François

  4. JP et Liliane

    Quelle île magnifique. Merci de nous rappeler tous ces beaux moments passés la bas. Une seule envie : sauter dans le premier avion pour aller nager dans le lagon.
    Bon vent et amitiés à tous les deux.

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