Shelter Bay
Vendredi 24 mai, arrivée à la marina de Shelter Bay, à l’entrée de la baie Bahia Limon qui donne accès au canal. C’est la seule marina proche de l’entrée du canal (nécessaire le temps des formalités, mais on peut ensuite mouiller à l’extérieur, ou rejoindre une autre marina plus éloignée). Elle est située au bout de la presqu’île Punta del Toro, dans une ancienne base américaine, d’où son isolement. Marina bien tenue, bon wifi, piscine et excellentes douches, bon restaurant.
Il fait une chaleur moite qui nous colle à la peau et, tous les soirs ou presque, on a droit à un orage impressionnant sous un ciel d’encre; qui amène une invasion de mouches, moucherons et moustiques en tous genres.
Pour supporter ce climat, on devient clients assidus du restaurant climatisé, qui propose de bon petits plats locaux à prix abordables, et de son bar qui fait d’excellents mojitos.
Autour de la piscine les équipages échangent leurs expériences : ceux qui vont passer le canal, ceux qui rentrent en Europe en laissant leur bateau jusqu’à la saison suivante (la marina abrite un chantier à sec qui a l’air très propre). Une voilerie s’est montée dans l’ancien théatre de la base américaine, utilisant la scène comme plancher!
Sur le ponton en face de nous, Cristiano, brésilien trentenaire, retape la goélette en alu de son père construite en France, chez Meta. On fait la connaissance d’Alain sur Kooka II, Nautitech 44, qui part aussi aux Marquises, mais sans s’arrêter aux Galapagos et avec qui on va échanger par Iridium sur l’avancée de nos traversées respectives. La veille de notre départ, arrive Polo, un X 99 avec à bord les bretons Léa, Gwenn et leur petite chatte : partis en décembre de Brest, ils vont aux Marquises pour une nouvelle tranche de vie. C’est avec eux que nous passerons le canal.
La règle du jeu du canal:
- passer les écluses en même temps qu’un cargo, en « attelage » avec un ou deux autres bateaux à couple (les multicoques étant souvent au milieu)
- assurer que le moteur peut tenir une vitesse minimale (les 8 nœuds historiques ne semblent plus obligatoires)
- avoir à bord un “assessor”, qui joue le même rôle qu’un pilote pour un navire marchand
- payer des droits de passage en fonction de la taille du bateau
- acheter un “permiso de navigacion”
- se procurer 4 aussières de 25m et 4 pare-battages XXL
- avoir à bord 4 personnes (les “handliners”) en plus du skipper, pour récupérer les 4 pommes de touline que lance le personnel du canal, y amarrer les aussières pour les amarrer à terre sur les bollards des écluses et les garder tendues pendant les manœuvres d’écluse
- nourrir son monde pendant les deux jours de traversée, ce qui n’est pas le moins important, vu leur appétit!
On peut parfaitement gérer tout soi-même. Comme beaucoup, nous avons préféré passer par un agent pour gagner du temps et déjouer les pièges de la bureaucratie panaméenne. On nous a chaudement recommandé Erick Galvez (par la coiffeuse-navigatrice de Christine!). Par rapport aux autres consultés, ses retours de mails ont été précis et rapides, ses prix plutôt raisonnables, et nous l’avons retenu. C’est un choix que nous recommandons à notre tour, son efficacité se révèlera optimale. C’est lui qui orchestre toutes les formalités à effectuer, gère les flux financiers avec le canal (cette étape semble complexe, nous avons vu un américain se faire balader de banque en banque toute une journée…) et nous assure un back-office pour tout imprévu, jusqu’à la sortie du Panama, qu’il gère également.
Dès le lendemain de notre arrivée, visite d’un officiel du canal affable qui mesure le bateau avec un mètre à ruban … et trouve moins que la longueur du bateau. Il se gratte la tête en signe d’incompréhension, ça doit être la première fois que la longueur mesurée est plus petite que la longueur officielle! Michel le rassure en lui disant qu’il a démonté le bout dehors. Cela n’a rien à voir, mais l’honneur est sauf. Il remplit tout un tas de paperasses sur les caractéristiques du bateau et de l’équipage. Il nous donne des informations sur le passage. Mais le plus important, ce sont ses recommandations sur la manière de traiter l’assessor : des bouteilles d’eau capsulées en quantité et surtout de la “strong food”, c’est à dire viande, féculents en quantité et surtout pas de plats sans viande!
Nous pouvons choisir notre date de passage (nous choisirons le mercredi, 4 jours après notre arrivée – et notre demande sera acceptée, nous sommes au début de la saison creuse), et notre position (nous choisirons la position centrale, mais comme nous ne serons que 2 bateaux à couple, notre côté tribord sera exposé face aux quais). La date de passage est confirmée le soir-même.
Après quelques difficultés pour récupérer le “permiso de navigacion” (qui est délivré à Lindo, distant de 60 km!), James, assistant de Galvez vient à bord pour nous expliquer l’agenda précis du passage, récupérer notre règlement (par carte bleue sans frais, bien), et nous fournir aussières et pare-battages.
Le transit se fera en deux jours, avec une nuit au mouillage sur le lac Gatun,. Il nous conseille de protéger nos panneaux solaires des impacts des pommes de touline lancées depuis le bord des écluses.
Mardi, courses à Colon avec le minibus gratuit de la marina, directement dans un centre commercial, apparemment sécurisé. On trouve à peu près ce que l’on veut pour sustenter les pilotes et nos 3 handliners (Christine faisant la quatrième). C’est tout ce que l’on verra de la ville de Colon, qui est, de l’avis de tous, plutôt dangereuse et sans intérêt. Pour une fois nous n’irons pas vérifier. Michel négocie âprement avec le chantier de la marina des panneaux de bois pour protéger nos panneaux solaires. On fait le plein des jerricans de gasoil, et d’eau … avec des bidons, car il y a une coupure générale d’eau qui ne pourra pas être réparée avant notre départ!
Mercredi 29 et Jeudi 30 mai : 2 journées à la fois interminables et chargées d’émotion.
Passage du canal
Voilà ce qui nous attend, pour franchir seulement 26 m de dénivelé:
A 13 heures les 3 jeunes handliners, Juan, Mario et Luis s’installent à bord. On largue les amarres pour aller au mouillage d’attente juste devant la marina. On déjeune avec nos trois marins et on essaie d’entamer la conversation, mais ils ont le nez dans leurs smartphones entre clips musicaux et réseaux sociaux. A 17h, nous voyons arriver 2 personnes : l’assessor accompagné d’un pilote en formation. Les 260 pilotes sont l’aristocratie du canal. Sélectionnés à partir de leur expérience de marine marchande (minimum 5 ans), ils suivent une formation de 3 ans, au bout de laquelle ils commencent à exercer sur l’ancien canal, salaire de départ 5000 $. Au bout de 15 ans minimum, ils peuvent concourir pour exercer sur les panamax et néopanamax, navires géants qui empruntent le nouveau canal. Leur responsabilité est énorme car, contrairement aux ports classiques, le pilote prend la pleine responsabilité du navire. Cette responsabilité se paie, jusqu’à 15 000 $ pour les seniors. De plus, la progression des navires de l’ancien gabarit est assurée par des locomotives, alors que les monstres du gabarit panamax sont uniquement guidés par des remorqueurs commandés par le pilote (qui gére l’écartement entre navire et mur, qui peut être de 2’ (60 cm). Notre premier pilote, Oswaldo, prend la main sur l’assessor, et dirige les opérations.
Il est très agréable, donne des directives très claires et plein d’explications sur le canal, il est passionné par son métier, et on sent qu’il a déjà l’étoffe d’un bon pilote, avec une connaissance fine des courants (très important, il y a des phénomènes d’aspiration le long des quais à l’entrée et à la sortie, ces quais étant dissymétriques. C’est encore plus impressionnant lors de l’entrée d’eau salée qui ne se mélange pas à l’eau douce du lac).
On remonte le chenal d’accès au milieu des cargos. On passe sous le nouveau pont suspendu en construction qui permettra de désenclaver Colon du reste du pays, construit par des français, très élégant.
Au loin, l’orage menace, mais il va se dissiper une fois arrivé au niveau du pont.
Devant l’écluse de Gatun, on se met à couple de Polo.
Comme nous, ils sont 7 à bord et on discutera pas mal avec eux pour passer le temps pendant ces deux jours. On entre dans le premier sas derrière un cargo néerlandais. De chaque côté, les lanceurs d’amarres lancent les pommes de touline que les handliners récupèrent, et amarrent à terre les aussières ainsi récupérées. Quand le bateau est immobilisé, les portes se referment derrière nous, nous quittons l’Atlantique.
On monte en quelques minutes de 10 mètres, avec quelques remous limités, les handliners gardent tendues les aussières, pour maintenir les 2 bateaux au centre de l’écluse (cliquer sur la video).
Une fois le sas rempli, les portes de devant s’ouvrent. Au signal du pilote, les bateaux se coordonnent pour avancer sans se mettre en travers. Il faut trouver la bonne vitesse pour que les lanceurs d’amarre puissent accompagner le mouvement à terre sans courir.
Rebelote pour les 2 sas suivants. La manœuvre est un peu différente pour le cargo : il est maintenu au centre par des aussières tendues de chaque côté par des locomotives, qui le tractent tout le long de l’écluse.
La nuit tombe petit à petit. Les pilotes apprécient leur diner, la cuisine de Christine sera gratifiée d’un 5 étoiles!
La dernière écluse s’ouvre sur le lac Gatun. On se sépare de Polo, et on va s’amarrer à une énorme bouée à la sortie de l’écluse.
Diner avec les handliners, avec qui on échange un peu sur leur vie particulière : ils font ce boulot depuis 7 ans, au rythme de 2 ou 3 transits par semaine pour compléter leurs revenus, et ils connaissent leur affaire. Pendant la nuit, on entend les singes hurleurs, qui peuplent, avec d’autres charmantes bêtes, les rives du lac Gatun.
Jeudi matin, les affaires débutent mal et on sent la journée mal embarquée : la nouvelle équipe de pilotage arrive avec une heure et demie de retard. Le pilote nous demande de mettre les gaz pour rattraper le cargo avec lequel on doit passer à l’écluse de midi, 25 milles plus loin. Mais le cargo marchant à plus de 8 nœuds, il passera sans nous. Résultat, il faudra attendre le prochain jusqu’à 15h.
Cela nous laisse le temps de déjeuner en stand-by devant les écluses, et de contempler l’appétit des locaux, qui est vraiment énorme!
L’équipage de Polo s’est aussi mis en stand-by.
La navigation sur le lac Gatun est assez étonnante, au milieu de ces dizaines de cargos lancés à 12 nds, entre les rives boisées, complètement sauvages.
A la sortie du lac, on emprunte le chenal creusé dans le rocher, le Gaillard Cut, du nom de l’ingénieur responsable des travaux.
Les écluses ramenant au niveau du Pacifique se divisent en deux parties : l’écluse de Pedro Miguel, suivie de la traversée d’environ 1 mille du petit lac de Miraflores, et enfin l’écluse de Miraflores, à deux sas.
Pour les écluses de la descente, les voiliers passent en tête. Nous attendons longtemps le cargo Lake Dynasty, ce qui nous laisse le temps d’admirer l’ingéniosité des locomotives.
D’une façon générale, le caractère novateur des solutions retenues il y a plus d’un siècle est impressionnant, ne serait-ce que le béton, qui n’a pas bougé depuis, ou les écluses en acier riveté.
Notre voisin nous rejoint enfin dans le sas, au prix d’une. interminable manœuvre. Il est au gabarit maximum de l’ancien canal, et touche quasiment des deux côtés!
La descente peut commencer (cliquer sur la video).
L’eau descend rapidement avec de fort remous. Tout se passe nickel. Cerise sur le gâteau : la mère de Michel devenue experte en web, puis Louis-Bernard nous envoient une photo prise depuis la webcam de Miraflores juste à 17h.
La dernière porte de Miraflores s’ouvre enfin sur le Pacifique, à la nuit.
Instant d’émotion pour les deux équipages. Polo et Spica se séparent, nous larguons nos deux pilotes à Balboa, puis un peu plus loin les handliners et leur matériel. Pas mécontents de se retrouver tous les deux seulement sur le bateau. On embouque le long chenal de sortie jusqu’à la marina Flamenco, face à la baie de Panama City, où nous finissons d’évacuer le stress et la fatigue.
Panama City
A l’est de la sortie du canal, une digue étroite forme une presqu’ile, Amador, en reliant la terre à quatre îles, avec 2 mouillages (un au sud, un au nord) et 2 marinas, une au sud et une à l’ouest, Flamenco. Le site est magnifique, avec une belle vue du la “skyline” de Panama City.
Les mouillages sont plus ou moins bons selon les conditions de houle, mais il est difficile de laisser l’annexe en sécurité une fois à terre. Nous avons choisi Flamenco Marina, pour pouvoir visiter un peu Panama City, sortir le soir et aller faire un gros ravitaillement sans soucis.
Disons-le franchement, cette marina est à fuir. Tout le contraire de Shelter Bay : chère, personnel pas aimable, paperassier, totalement désorganisé, tout pose problème comme laver notre linge, qu’ils voulaient nous facturer 70$ après 2 h de palabres pour trouver une laverie. Ils nous font perdre tellement de temps qu’il reste une peau de chagrin pour visiter Panama, tout en préparant la traversée vers les Galapagos.
Petit tour au Casco Antiguo de Panama City : en fait, 3 quartiers semblent juxtaposés : un centre récemment restauré, en train de devenir un quartier bobo fréquenté par les expatriés et les panaméens aisés, avec quelques beaux bâtiments autour de la cathédrale, …
… une rue piétonne commerçante plutôt agréable, qui fait penser à Cuba…
… et imédiatement autour du centre, un quartier totalement délabré, où on ne mettrait pas les pieds la nuit.
Ça nous parait un bon résumé de la situation du pays.
Visite au musée du canal à l’écluse de Miraflores
Le musée du canal, près des écluses de Miraflores, est intéressant par les illustrations sur les travaux français et américains, et le descriptif des nouvelles écluses en service depuis 2016 pour les panamax et néopanamax. Mais la muséographie laisse à désirer. Au retour, courses au gigantesque centre commercial Albrook Mall, une ville dans la ville : à oublier.
Nous voilà prêts pour attaquer le Pacifique, dans des conditions qui promettent d’être un peu pénibles : vent faible de suroit, juste dans le nez avec le courant contre. Nous quittons la chaleur étouffante de Panama le dimanche, pour un stop aux îles de l’archipel de Las Perlas, à une quarantaine de milles. On mouille à la nuit dans une petite anse, à côté d’un pêcheur, au nord de l’île Pedro Gonzalez . Nuit calme. Cette escale a pour but de nettoyer les coques pour éviter de se faire refouler en arrivant aux Galapagos. Mais le lendemain matin, l’eau est trouble et le ciel noir, pas vraiment une partie de plaisir.
Traversée Panama – Galapagos
Distance sur le fond 840 milles, distance parcourue 1032 milles, tout est dit, cette partie du voyage n’est pas la plus simple. Point positif, en cette saison, la zone de convergence intertropicale (ITCZ) est bien au nord, au niveau du Costa Rica. Mais elle se répercute très loin au sud, avec zones de calme, temps poisseux et orages permanents.
Il faut surtout bien viser en terme de courants. Les alizés poussent l’eau vers l’ouest au niveau 4°S, et cette énorme masse revient vers l’est sous forme du contre-courant équatorial, qui se réoriente au SE en butant sur l’Amérique Centrale. Au sud, le courant de Humboldt remonte les cotes de l’Amérique du Sud, avant d’être dévié par le golfe du Panama. Il y fait une grande boucle et se réoriente ainsi vers l’ouest, puis sud-ouest au niveau de la Punta Mala. Il y rejoint le contre courant équatorial. Les eaux étant de température différente, cela donne des courants de force et de direction assez variable, avant que tout s’oriente dans le bon sens, vers l’est, à 250 milles des Galápagos.
Nous avons pu faire route sous voile, au près serré, pendant quasiment les 3/4 de la route, dans un vent faible et instable, sauf quelque heures au moteur. Temps couvert et pluvieux pendant 6 jours, pas un lever ni coucher de soleil. La nuit, une activité orageuse quasi-permanente.
Deux nuits consécutives, nous avons été envahis d’oiseaux.
Suivant les conseils de Jimmy Cornell, nous sommes partis plein sud, en passant tout près de l’ile de Malpelo, sinistre bien que célèbre chez les plongeurs, pour aller chercher un vent stable.
Le 10 juin à 23h, nous franchissons l’équateur à la longitude de 88° 14′ W.
Neptune est honoré, comme il se doit, d’un verre de champagne, par l’équipage déguisé avec les moyens du bord, selon la tradition.
Désormais, il faut faire l’apprentissage d’un fonctionnement à l’envers : la latitude qui diminue quand on fait du sud, le soleil qui passe au nord, le vent qui tourne à l’envers autour des grains et des dépressions.
Ce choix nous a beaucoup écarté à gauche de la route directe, mais il s’est révélé payant au bout de 6 jours, quand le ciel s’est éclairci et que nous avons soudainement touché un vent stable de sud-est.
Nous avons pu enfin ouvrir les capots pour aérer le bateau, et même, le dernier jour, profiter de la rotation du vent attendue pour accélérer sous code 0.
Mardi matin 11 juin « terre terre », le relief volcanique de San Cristobal apparaît sous les nuages.
Annexe : construction du Canal de Panama, “rêve français, réalité américaine *”
Après la découverte de l’océan pacifique par Balboa en Septembre 1513, c’est Pedrarias qui continue l’exploration de l’isthme et fonde la première colonie côté Pacifique, Nuestra Senora de la Asuncion de Panama, qui devient Ciudad Real en 1521. Panama devient la plaque tournante des richesses venant du Pérou, de la Colombie et de l’Equateur. Mais ces richesses doivent être acheminées côté Caraïbe pour être chargées sur les galions partant pour l’Espagne.
Les premières voies de communication à travers l’isthme empruntent des chemins pavés où les marchandises sont portées à dos de mulet : el Camino Real jusqu’à Nombre de Dios et le port de Portobelo, puis el Camino de Cruces, le long du Rio Chagres.
Dès 1530, Charles Quint fait étudier un projet de canal mais ne donne pas suite. Aux siècles suivants, le transport des marchandises par l’isthme perd de son intérêt du fait des attaques de pirates, et des progrès des constructions navales qui permettent le contournement de l’Amérique du sud par le Cap Horn. C’est la ruée vers l’or en Californie qui relance l’intérêt d’un franchissement de l’isthme. Les Etats Unis construisent une ligne de chemin de fer de 1850 à 1855 entre Chagres et Gomboa, pour un coût de 8 M$.
A la fin du XIXème siècle, l’intérêt du creusement d’un canal reprend, avec le développement de la marine marchande. De nombreuses études sont lancées et pas moins de 5 trajets sont envisagés à travers l’isthme du Mexique à la Colombie, dont deux projets tiennent la route, au Nicaragua et au Panama.
Contrairement à une idée reçue, la construction fut une catastrophe pour les ingénieurs et les financiers français, et un succès magistral pour le pragmatisme de leurs confrères américains.
Alors que le gouvernement américain tergiverse, l’Etat colombien, qui possède l’isthme, négocie avec l’Etat français et confie le projet à Ferdinand de Lesseps, auréolé du succès des travaux de percement du canal de Suez. La « Société civile du canal interocéanique du Darien » est créée en 1875. Lesseps conclue à la faisabilité d’un tracé sans écluse entre le rio Chagres et un affluent du rio Grande, en passant par une zone de marais et un partage des eaux à seulement 10 mètres de hauteur. C’est ce projet qui va initialement retenu. En 1879, le Congrès Colombien signe la “Convention Wise” concédant à la Compagnie de Lesseps la responsabilité du chantier. Les travaux, pour une durée prévue de 8 ans, commencent en 1880. Ils se heurtent d’emblée à des difficultés monstrueuses : crues de la rivière Chagres, glissements de terrains, densité de la forêt tropicale, mais surtout mortalité liée à la fièvre jaune et au paludisme. 5 000 travailleurs, venus principalement des Caraïbes, Jamaïque et Haïti, périssent dans la première année, d’autant qu’on ne connaît pas encore le mode de transmission du paludisme. De plus, les calculs des ingénieurs français se révèlent faux. Malgré un nouveau projet en 1887 confié à Gustave Eiffel et comprenant des écluses, les travaux ont pris trop de retard. En 1889, après des pertes estimées à plus de 20 000 morts, la Compagnie est mise en faillite par l’Etat français : c’est le premier scandale de Panama (bien avant les Panama Papers !).
En 1894 le projet est relancé avec la création de la Compagnie Nouvelle du Canal de Panama, Mais aucun financement n’est trouvé.
En 1903 la Compagnie cède la concession aux Etats-Unis. La signature du décret par Theodore Roosevelt est un déclic pour la bourgeoisie panaméenne qui se rebelle et fonde la République de Panama le 3 novembre 1903 en se séparant de la Colombie. Le traité (Hay-Bunau-Varilla, du nom des négociateurs) qui en découle octroie aux USA la construction du canal et son administration à perpétuité. En échange le concessionnaire s’engage à garantir l’indépendance du nouvel Etat face à la Colombie moyennant compensations financières.
Le projet comprend un nouveau tracé avec la construction de 3 séries d’écluses et la création d’un lac artificiel, le lac Gatun, alimenté par la rivière Chagres pour fournir l’eau aux écluses.
Les travaux commencent en 1904 et durent 10 ans. 75 000 travailleurs y participent. Le coût est de 400 M$. L’histoire n’a pas rendu célèbres les 4 hommes clés de ce colossal chantier. Le colonel William C. Gorgas, après la découverte de la transmission de la fièvre jaune et du paludisme, élimine les moustiques par des travaux d’assainissement et la pulvérisation de produits chimiques tout le long du tracé du canal. L’ingénieur John F. Stevens, invente des machines pour creuser, et utilise le chemin de fer existant pour évacuer les tonnes de matériaux extraits. David du Bose Gaillard est en charge des travaux de creusement de la partie étroite, côté Pacifique, le Culebra Cut (qui porte maintenant son nom, Gaillard Cut), 7 ans de travaux. Enfin c’est George Washington Goethals qui termine les travaux avec la construction des écluses particulièrement innovantes pour l’époque, avec un béton spécial et des portes en acier flottantes. La taille des écluses est adaptée aux plus gros cargos existant alors. Elles mesurent 304 m de long sur 33 m de large. Les portes métalliques fabriquées en Pennsylvanie, sont au nombre de 40 paires. Elles mesurent 2 mètres d’épaisseur, 19 mètres de large et de 14 à 22 mètres de hauteur, les plus hautes côté Pacifique du fait des marées plus importantes. Elles sont flottantes et actionnées par des moteurs. Elles sont encore toutes en service. Un système astucieux de locomotives, de part et d’autre des écluses, contrôle les mouvements des cargos. A l’exception des moteurs des écluses remplacées récemment par des vérins hydrauliques, tout est encore en service aujourd’hui!
Le canal est inauguré le 15 août 1915 par le président panaméen, accompagné des officiels américains, à bord du navire Ancon, sans grandes festivités : la première guerre mondiale vient de commencer.
En 1977, après de nombreuses manifestations hostiles aux américains et sous la pression internationale, les USA rétrocèdent la souveraineté du canal au Panama, décision entérinée par la signature du traité Carter-Torrijos, et effective le 31 décembre 1999.
En 2007, devant l’accroissement de la taille des navires, la décision est prise de construire de nouvelles écluses pour permettre l’accès aux « néo-panamax » mesurant 366 m de long sur 49 m de large. La charge passe de 5 000 à 14 000 conteneurs (elle a été depuis augmentée à 20 000). Les travaux durent 10 ans, confiés à des équipes européennes, et prennent un retard considérable du fait, notamment, à la piètre qualité du béton coulé! Les accès sont élargis, le Gaillard Cut creusé et le lac Gatun réhaussé. Les écluses, parallèles aux précédentes, sont de conception différente avec trois bassins qui permettent de récupérer 60% de l’eau : il faut en effet 100 millions de litres pour les remplir. Ecluses Coculi côté pacifique et Agua Clara côté atlantique. Les portes, fabriquées en Italie, sont coulissantes, d’un côté à l’autre de l’écluse. Les roches extraites sont utilisées pour faire une digue artificielle reliant les petites îles à la sortie du canal, la Calzada de Amador. Durant les travaux, 40 000 personnes sont employées, dont 37 000 panaméens.
La facture du transit est salée : 300 000 à 400 000$ pour les navires au gabarit panamax, 500 000 à 800 000$ pour les néo-panamax, avec un record de 1 million de $ pour un paquebot de 350 mètres.
Aujourd’hui, il est à nouveau question d’engager de grands travaux : la sécheresse actuelle, la plus sévère depuis 115 ans, provoque une baisse historique du niveau du lac Gatun de 2,40 m. Les navires ne peuvent plus passer à leur charge nominale, générant un manque à gagner considérable pour les armateurs, qui doivent en tenir compte en chargeant leurs navires à l’autre bout du monde. Cette perspective pose toutefois d’ores et déjà de lourdes questions environnementales.
* titre du National Geographic de novembre 99 conscaré au canal
Philippe
Super les Amis ! Bel article (à votre habitude !) et nous sommes content que vous ayez finalement pu “faire le saut” dans le pacifique !
A vous suivre pour nous faire rêver !!
Anne et Philippe
Nicole Crepel
Toujours aussi passionnant de vous lire et en plus la vidéo nous permet de comprendre parfaitement les manoeuvres..
Je pense que maintenant, vous allez pouvoir profiter pleinement du Pacifique. J’attends les photos et le récit des Galapagos avec impatience.
Bonne continuation à tous les deux.
Marchand
Bonjour,
Toujours aussi impressionnant votre voyage.
La préparation a dû être très soignée
Merci de nous le faire partager
Félicitations
Jean-Louis
JP & L Roux Levrat
Très impressionnant la photo de Christine à la barre avec un gigantesque bateau derrière…Nous attendons la suite avec impatience. JP &L
Cécile
Super article avec le volet historique très intéressant.
Passage du canal de Panama et de l’Equateur, 2 Premières marquantes pour les navigateurs au long cours que vous êtes.
Claire
Avec beaucoup de retard….belle lecture, impressionnant ce passage du canal et émotion à l arrivée de “l’autre côté”, dans un autre monde. Merci
voilier MAKANI II
Magnifique et tellement bien raconté
On a hâte d’y être.
Merci pour nous ces détails